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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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9 janvier 2009

DE L' ORIGINE de la PHILOSOPHIE

L'origine n'est pas le simple commencement historique, lequel peut se dater aux environs du VI siècle avant notre ère, dans la région de Milet, avec les premiers penseurs indépendants comme Thalès, Anaximère et surtout Anaximandre. Cette question concerne plutôt les historiens. L'origine est plus difficile à déterminer parce qu'elle ne se situe qu'indirectement dans dans le temps, factuellemnt si l'on veut. Une origine peut rester longtemps celée dans le brouillard du passé avant que d'apparaître, et de faire événement dans un présent dès lors fixé comme tel : moment daté. L'origine de la philosophie est en fait l'acte de penser, comme activité consciente de soi et qui se revendique comme telle. C'est pour cette raison, entre autres, qu'il importe de distinguer le Mythe de la Philosophie. Le mythe se perd dans la nuit des temps, sans pour autant jamais disparaître en tant qu'il représente la forme originelle, peut-être spontanée, des questions et des réponses que les hommes apportent au problème de la destinée, de la nature du monde, de la vie et de la mort etc. Le Mythos est plus qu'une fable, c'est une élaboration de la question, mais sous la forme du récit collectif, groupal ou social, récit qui se veut explicatif, et qui le demeure très longtemps, comme on le voit dans la plupart des civilisations. Par la suite l'esprit mythique s'est plus ou moins fixé dans des structures mentales très éléborées qu'on appelle religions. C'est très tard dans l'histoire humaine, et dans quelques régions très particulières qu'apparaît le désir d'une autre interprétation, d'une autre logique, à la faveur des échanges commerciaux et culturels qui vont favoriser l'indépendance d'esprit, la curiosité, l'interrogation critique. L'âge du mythe se clôt, des religions universalistes apparaissent pendant que dans d'autres sphères culturelles se développe cette pensée très particulière qui s'appelera très vite philosophie.

Notons d'abord que toute philosophie qui apparaît est le fait d'une individualité, et non d'un groupe, même si l'influence et la pression du groupe ne sont jamais à négliger. Ce que dit Thalès, personne ne l'avait dit avant lui, du moins pas sous forme rationnelle et systématisée. Il en ira toujours ainsi, et de la sorte nous voyons paraître des "philosophies" qui portent le nom de leurs concepteurs : Platon,Aristote, Epicure, Descartes etc. Cela signifie que chacun de ces auteurs a une intuition originale, une vision du monde personnelle qui, rencontrant l'esprit du temps, s'est rapidement dressée comme un monument de pensée, une oeuvre, un chemin de vérité. De la sorte on peut rapprocher le philosophe de l'artiste. Picasso est seul à avoir créé son propre monde. De même pour Kant ou Schopenhauer. Originalité irremplaçable, singularité absolue. Que le philosophe ait des disciples ou non n'est pas très important. Le disciple ne crée pas. C'est la pensée du créateur qui agit dans l'histoire, traçant un sillage à jamais vivant.

Second fait important : si une philosophie est historiquement datée comme oeuvre, avec ses inévitables erreurs et illusions liées à son temps, elle conserve, si elle est vraiment l'oeuvre d'un créateur, cette fraîcheur des rigines, cette véracité qui la rend aussi éternelle que les oeuvres des grands artistes. Giotto est-il dépassé par Raphaël? Dans le monde de l'excellence les comparaisons sont futiles. Epicure est toujours actuel, toujours stimulant et "vrai", aussi bien que Schopenhauer ou Nietzsche. A quoi cela tient-il? Je pense comme Bergson qu'une grande oeuvre est la tentative plus ou moins réussie de donner un concept radicalement nouveau, exprimant une intuition radicalemnt neuve, et, paradoxalement inusable. De là une lecture particulière des oeuvres. Ce qui compte n'est pas le détail toujours plus ou moins pertinent, mais cette idée centrale inépuisable qui fait infiniment la fécondité de la pensée. C'est ce noeud central qu'il faut s'efforcer d'atteindre dans le philosophe.

Troisième point : le  philosophe se définit lui-même comme un "ami" - philos - mais un ami de quoi, ou de qui? De la "Sophia" - cette énigmatique sagesse dont l'énoncé est si affaibli à notre oreille de modernes qu'il perd presque toute signification. Pour les Grecs la Sophia était à la fois la connaissance juste, la clarté de la raison,et la conduite ordonnée. Théorie et pratique, dont la vitalité s'exprimait dans une école, un art de vivre, un technique de pensée, une éthique, des engagements éventuels dans la vie politique. Philosopher c'était vivre d'une certaine manière, selon un code dont la valeur suprême est toujours la vérité. Ami de la sagesse, ami de la Vérité. Et ajoutons : ami de l'ami. On ne philosophe pas seul, même si l'on est toujours seul en dernière ligne pour décider du vrai et du faux, du juste et de l'injuste. Mais aussi on se recherche, on se rencontre, on se parle, on se chamaille, on rit, on trinque, on boit. A l'occasion quelques danseuses légèrement vêtues agrémentent la fête, ou des joueuses de flûte. Eh quoi, le Banquet est un moment philosophique important! Et puis, plus austèrement, et toujours seul, on écrit. On écrit d'ailleurs de plus en plus, et on en oublie la conversation et la dispute orale. Quelque chose de cette extraordinaire vigueur initiale se perdra au fil des siècles au profit de l'université et des discours savants. Loin du peuple, alors que Socrate ne craignait pas de se compromettre avec le savetier, l'orateur et le politicien, et que Diogène se laissait volontiers mignarder par quelque courtisane complaisante.

Quatrième point : si la raison est généralement invoquée comme critère du vrai, en particulier chez les philosophes dits rationalistes, comme Descartes, il faut reconnaître une place importante à l'imagination créatrice, à la fantaisie, voire au délire. Le thème est particulièrement explicite chez Platon, cet ancien poète tragique converti à la philosophie par Socrate : délire de la Pythie à Delphes, qui transmet dans l'extase la plus haute sagesse d'Apollon, délire prophétique, délire poétique et délire amoureux. On feint d'oublier cette dimension créatrice de mythes, de fantasmagories cosmiques, théologiques ou psychagogiques. Mais le philosphe est un homme, et dans l'idéal un homme total qui donne sa place à toutes les dimensions de la réalité. Le corps chez Epicure occupe une place essentielle, la psychè est examinée de long en large par Spinoza, l'âme et l'esprit, autant que raison et déraison ont leur place dans la méditation philosophique, avec évidemment des valeurs différentielles considérables. Mais il faut y insister. Le philosphe antique était un physicien, un mathématicien, un biologiste, un médecin, un psychiatre, un moraliste, un éthicien, et parfois un politique. C'est donc à tort que l'on réduit la philosophie à la seule raison, centrale bien sûr, mais non exclusive. Reste que le philosophe, s'il fait usage de l'imagination, voire du délire, le fait toujours sous la souveraineté de la sagesse, ce qui l'éloigne à jamais du vulgaire, fût-il poète.

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