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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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19 juin 2019

QU' APPELLE-T-ON REALITE ?

 

Ce que nous appelons communément "réalité" c'est le monde tel qu'il se présente à nous par la médiation des sens, mais aussi de la mémoire et des schèmes perceptifs et intellectuels que nous avons intégrés et organisés tout au long de notre vie. On peut soutenir que c'est une image, en donnant à ce terme une extension maximale, ou, plus techniquement, un complexe sensitivo-perceptif largement conditionné par le langage et les représentations communément reçues dans la culture où nous baignons. Pour parler grec c'est un kosmos : un arrangement, un ordre, un monde. Que ce "monde" ne soit pas exactement conforme à ce qui est, chacun le sait bien, mais c'est là une idée lointaine qui ne modifie pas l'image : que la terre tourne autour du soleil, c'est une idée, sans doute respectable, mais chacun continue de voir le soleil se lever à l'orient et se coucher à l'occident. Tout au plus peut-on noter qu'avec l'avancée des sciences chacun vive en somme avec deux "mondes", l'un, traditionnel, l'autre théorique. Mais pour la psyché humaine le premier restera à jamais plus réel que le second.

Pourquoi cela ? Parce que la "réalité", ce que nous nommons ainsi, est perçue comme une évidence sensible, créant un assentiment immédiat, une certitude paisible, confortée par les mille perceptions de l'existence quotidienne. Voici un arbre, il se dresse devant ma fenêtre, chaque matin, quel que soit le temps, quelle que soit ma disposition subjective, je le retrouve à la même place. Si demain je ne le voyais plus je me demanderais si c'est lui qui a disparu, ou si c'est moi qui délire : mon sentiment de réalité, pris en défaut, cède à la panique. Une soudaine étrangeté a précipité mes certitudes dans l'incertitude.

On voit que le sentiment de réalité, si confortable et rassurant, est bien fragile. Une fièvre, un délire, un rêve continué dans la vie vigile, un accident, et voilà que le beau cosmos s'ébrèche, parfois pour un temps très court, parfois plus long, parfois pour toujours.

"Et le miroir se brisa" - notation très juste, car ce cosmos organisé est aussi l'image où le moi se contemple.

Ce qui est extrèmement troublant c'est que le sentiment de réalité est parfaitement agissant dans les rêves, où nous percevons, souffrons, parlons avec parfois une netteté extraordinaire, si bien que l'opposition classique entre état vigile (réalité) et rêve (irréalité) est bien aléatoire. Il y a des passages assez subtils de l'un à l'autre, avec des stations intermédiaires. Sans même parler de l'hallucination, qui offre indubitablement la même expérience de réalité. Je serais tenté d'en conclure que le sentiment de réalité relève moins de la présence des choses - le monde extérieur - que de la conviction du sujet qui se donne à lui-même un monde, tantôt perceptif, tantôt onirique, tantôt hallucinatoire.

Dans une formule lapidaire je dirai : le monde c'est moi, c'est ma représentation.

Mais alors surgit la vraie question : si nous sommes pris dans les filets de la représentation, si nous ne savons pas au juste si nous percevons ou délirons - quand, comment, où y aurait-il quoi que ce soit de réel, de vraiment réel - "eteè" dirait Démocrite ? Ou encore, si tout ce que nous voyons, entendons, imaginons, pensons est "convention, comment pourrions-nous avoir accès au réel comme tel ?

Démocrite - encore - disait : "ce qu'est une chose en elle-même nous ne pouvons le savoir". On peut incriminer nos moyens de connaissance, trop limités, ou alors poser le principe que ce qu'on prétend connaître est d'une nature telle qu'il échappe par essence à la connaissance. D'où les formules pyrrhoniennes qui visent à pulvériser les prétentions de la logique :

ni A (ce n'est pas de l'être) ;

ni non A (ce n'est pas du non-être) ; on se souvient du mot de Démocrite : pas plus quelque chose que pas quelque chose.

Ajoutons-y, pour faire bonne mesure : ni un mélange d'être et de non-être (à la fois être et non-être) :

ni pas un mélange d'être et de non-être.

Cette batterie militaire vise évidemment à décourager toute entreprise de conceptualisation, toute réification signifiante, toute ambition de maîtrise et de contrôle. Machine de guerre qui encercle l'ennemi de toutes parts, pour que désemparé, désorienté, il baisse pavillon et se rende sans condition à l'évidence de son non-savoir.

Alors, peut-être, une tout autre expérience est-elle possible.

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