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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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23 décembre 2008

DES TYPES D ' OUBLI (suite)

Jusu'à présent nous avons examiné l'oubli dans ses diverses formes comme une puissance réactive, c'est à dire comme une force de résistance à l'égard des forces de l'inconscient, ou si l'on veut, avec Anna Freud et Mélanie Klein comme un mécanisme de défense. Encore faut-il préciser que ce "refus" de savoir ne s'adresse pas seulement aux forces internes mais aussi à la réalité des objets externes : je ne veux pas voir ce qui est, je l'écarte de mon considération et en fait j'opère une dénégation de perception. Cela s'explique en grande partie de ce que les objets internes et externes sont dans une secrète connivence : je projette constamment de dedans vers le dehors ( ex projection de la figure détestée de la belle-mère sur une rivale d'amour) et inversement j'introjecte des figures externes à l'intérieur ( l'enfant de mon amie devient inconsciemmment l'enfant que j'aurais voulu avoir, ou qui est mort). C'est une des étrangetés les plus remarquables que l'inconscient - à l'inverse du conscient - n'opère pas de différenciation nette entre l'interne et l'externe, ce qui explique largement la dynamique étrange des passions. On comprend mieux dès lors le caractère ambigü et obscur de nos  affects et de nos représentations. L'oubli y occupe une position décisive pour préserver la maigre équilibration du Moi.

Dans la perspective freudienne je ne vois pas de figure positive et active de l'oubli. C'est peut-être par igorance ou erreur. Oublier c'est se protéger. Or dans l'oeuvre de Nietzsche on découvre une position inverse. L'auteur admet sans difficulté l'existence de l'oubli "réactif" ou "passif" (comme forces d'adapation subie) mais ajoute qu'il existe un tout autre "oubli" (faut-il encore utiliser ce terme?)  qui ne consiste pas à s'adapter, mais à "adapter" le réel à une nouvelle structure dont le sujet serait l'auteur. Peut-être même peut-on parler d'une volonté d'oubli, qui n'aurait rien du déni psychotique, qui s'effectuerait dans la dynamique créatrice du sujet, et qui consisterait au fond à assimilern, transformer, transfigurer, transmuter la valeur jusque là attribuée à un souvenir ou une réminiscence pour en faire une force dominante, organisatrice et hiérarchiquement première. La chose n'est pas facile à concevoir. Je ne vois guère que dans l'art, ici pris comme modèle, qu'un tel processus est imaginable. Admettons un artiste qui a beaucoup doublement emprisonné dans sa psychè. On peut dire qu'il a oublié sa vraie vie, ou qu'il s'est lui-même oublié. On peut retrouver ici toute la gamme des oublis pathologiques et réactifs : refoulement, clivage, déni peut-être. Théoriquement, comme artiste, c'est un homme mort. Imaginons maintenant que se lève en lui une sorte de bourrasque révolutionnaire, imprévisible, mais réelle, et voilà toute l'armature éducative qui saute. Un nouvelle force se réveille. Il rejette avec violence tous les acquis étrangers. Il retrouve la voix intérieure qui lui dicte une nouvelle orientation. Il n'est plus l'élève de Bellocchio, il se découvre Léonard. Je pense aussi à ces lettres où le jeune Hölderlin écrit à sa mère qu'il ne peut se concevoir pasteur des âmes, et que seule la poésie l'intéresse dans sa vie : "l'activité la plus innocente et la plus risquée". Voilà un "oubli" d'une sorte tout à fait extraordinaire, une rébellion certes, mais définitive, absolue, existentielle. Ce n'est pas un vulgaire rejet psychique d'une partie de soi, c'est une sorte d'élévation vers le haut, de dépassement extatique (en non dialectique) , un vol d'aigle, un départ vers l'étrange et l'inconnu, en même temps qu'un retour au véritable pays natal. En langage hölderlinien on passe de Heimkehr à Heimkunft, de Heimat à Vaterland, de retour à redécouverte. Véritable retournement : ce qui était appelé le négatif ( le sexe, le désir, la poésie, l'esthétique, la fainéantise professionnelle) est soudainement élu au titre de vertu d'excellence, et par là le "négatif" est défait, éclaté, anéanti : les forces actives repassent au premier plan.

Je ne sais jusqu'à quel point on peut transposer ce modèle dans d'autres domaines de l'existence. Mais je suis convaincu qu'il faut "oublier" l'oubli, virer de bord, ou plutôt s'élancer dans  les airs, et de cette force nouvellement reconquise faire la puissance dominante de l'existence. "Je suis bavard, sot et vulgaire, mais ma musique ne l'est jamais" fait-on dire à Mozart dans "Amadeus". Je crois qu'il s'agit là d'un intuition très profonde.

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