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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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20 décembre 2008

DES TYPES d'OUBLI (suite3)

A y regarder de plus près la question philosophique majeure n'est pas le bonheur mais la santé : le bonheur est un anti-concept, une illusion psychologique. Je n'y reviendrai pas. Par contre la question de la santé est essentielle ; quel type d'homme voulons-nous réaliser? Par quelles méthodes? Ici nous avons trouvé une réponse possible: la santé c'est le propre d'une existence qui se définit essentiellement comme "active" c'est à dire créatrice de soi selon le génie intérieur, selon la voix du Daïmon, et non selon des schémas importés, artificiellement développés dans une conscience malade. Winnicott dirait dans son langage à lui : développer le véritable Self. Jung dirait : atteindre la plénitude du Soi. Nietzsche parle plus volontiers de la sagesse du corps, ce qui me semble une approche plus réaliste. Le corps sait ce que nous ignorons, mais malheureusement nous ne parvenons que difficilement à savoir ce que sait notre propre corps.

Le modèle neurophysiologique retrouve soudainement une sorte de légitimité: quand mon corps souffre, pourquoi, de quoi souffre-t-il? Bien sûr on ne peut tout ramener à la psychosomatique. Mais bien des affections nous délivrent d'utiles messages sur l'état de notre corps-esprit. : symptômes divers et variés, maladies fonctionnelles, troubles du système nerveux central ou périphérique, migraines et céphalées, fatigue chronique, baisse de libido etc. Première règle : écouter le négatif, en tenir compte et corriger notre comportement. Cela ne suffit pas toujours. Il faut parfois aller sonder plus profond et remettre à plat toute l'organisation de la vie. Alors viennent les vraies questions : est-ce que je vis selon mon désir le plus profond? Est-ce ma propre morale qui me tient lieu de guide? Qui parle quand je parle? Quel est ma véritable aspiration dans l'existence? Gâgeons que la plupart des maux viennent d'un erreur d'orientation.

Réduire les passions tristes c'est automatiquement augmenter la puissance des passions positives. Ce que je perds en tristesse je le gagne en joie. "Rire et philosopher" selon Epicure. Affirmer sa puissance selon Spinoza. Retrouver la grande santé du corps pour approfondir celle de l'esprit, selon Nietzsche. Qui nous force à regarder des spectacles macabres? Qui nous force à nous lamenter sur nos prétendus "péchés" et à mariner dans le bénitier de nos larmes? Qui nous oblige à voir dans le sexe une incarnation de Satan, ou une école de perdition? Qui nous contraint à nous croire responsable des guerres actuelles et anciennes selon un schéma de culpabilité rétroactive? Pensons-y. Les dévots sont toujours là, et les esprits libres toujours aussi rares, et méritants.

Choisissons, si nous sommes incapables de construire notre propre position éthique, un maître de vérité, dur et sec, et doux et encourageant. Préférons Lucrèce, dans son aride tableau des choses à la mollesse douceâtre des culs-bénis. Et le noble Montaigne à la tristesse moralisante de Kant.

Allons plus loin encore - si loin que je provoquerai peut-être un violent mouvement de recul : dans notre psychè il y a au moins deux forces qui se combattent toute la vie durant. Une première, la native, la naïve, celle que la nature a fait de nous, hors de toute considération morale ou éducative. Et puis les forces d'adaptation, de conditionnement, d'encadrement, de dénaturation et de reculturation. Celles-ci l'emportent en général, produisant un homme socialisé, certes, mais dans lequel gronde en sourdine une immense haine, un affreux ressentiment d'avoir été bridé, surmoïsé, ou, selon la belle formule de kant, moralisé par un accord "pathologiquement extorqué". D'où les névroses. En fait partout une sorte de "normopathie" qui fait de nous les esclaves de la grande machine à produire, de la mobilisation collective, de l'armée du rendement et des forces de mort. C'est l'autre visage, jusqu'ici quasi tout puissant, de la civilisation. Nous pouvons prendre quelque distance. "A l'orée des choses"dirait Lucrèce. C'est le repli actif des Epicuriens. Ou alors s'engager dans la lutte pour activer l'actif, utiliser une saine agressivité, sans ressentiment ni haine, mais avec détermination, contre les forces aujourd'hui dominantes de la réactivité productrice et meurtrière.

Tout au fond de nous un génie veille et nous gourmande par instant : "Que fais-tu de la vie que la nature universelle a déposée en toi"? Ce génie passera pour un fou, un frénétique, un héberlué chez le commun des mortels. Lao Tseu disait que le sage a toute l'apparence d'un idiot. C'est qu'il est authentiquement un idiot, c'est à dire, en bonne définition grecque "absolument singulier, comparable à nul autre, sans modèle ni double, unique à jamais."

Pour le dire autrement, c'est la douce folie originelle qui est au fond de nous. Elle seule, si elle organise intelligemment la vie, nous rend digne de l'existence.

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