DU BOUDDHISME
L'affaire principale de la raison c'est de lutter contre le retour des monstres. Et par là j'entends le fonds obscur de la psychè collective qui engendre fureur, haine, rejet, déni, peur, destruction d'autrui - et de la nature. Je sais que certaines religions ont pu parfois exercer une fonction régulatrice et socialisante, mais dans l'ensemble j'estime qu'elles véhiculent plus d'erreurs que de vérités. Plus grave encore : sous certains climats elle débilite le coeur et affaiblit le tempérament par l'angoisse savamment distillée dans les âmes. Parfois elle justifie les actes de barbarie les plus abjects. J'ai beaucoup de sympathie pour la tradition bouddhique parce qu'elle est, par principe, dans son fondement même, une psychothérapie plutôt qu'une religion. Bouddha lui-même fut une sorte de psychanalyste avant l'heure, et sans jamais demander un sou pour son assistance thérapeutique. Pour autant je ne pense pas que le bouddhisme sooit une solution pour le monde actuel, parce qu'il contient des dogmes plus que suspects hérités du passé - la théorie du samsâra, l'idée de salut, l'affirmation du nibbâna entre autres. Par ailleurs on ne saurait trop louer le génie psychologique de Siddharta Gotama qui sut dégonfler les illusions du moi, la grandiloquence de notre pensée, les délires du créationnisme et de la transcendance divine, la division en castes, le sacrifice sanglant des animaux, la violence prétendument légitime des états, l'ignorance et la méconnaissance, le désir aveugle de gloire, de propriété, de jouissance inconditionnelle, et de manière générale, la bêtise!
Si je disais plus haut que malgré tout je ne croyais pas à une solution bouddhique pour notre monde c'est parce que nos contemporains, dans l'ensemble, se trompent complètement sur l'essence de cet enseignement, dans lequel ils croient voir une légitimation du narcissisme, un culte du bonheur individuel et du bien être (Soyez Zen!) alors que cette tradition enseigne une forme sévère de renoncement aux prestiges du moi et à la jouissance, en quoi elle rejoint singulièrelmment certaines découvertes récentes de la psychanalyse (bien comprise!). De la sorte le bouddhisme se voit instrumentalisé par une politique de la consommation ( on consommera des enseignements et des techniques psychocorporelles de toute sorte sans se demandre un instant ce qu'elles signifient sur le plan mental et philosophique). Le narcissisme contemporain se voit justifié une fois de plus, et par la doctrine qui est la plus opposée à ses mirages, la plus difficile peut-être et la plus rigoureuse. En second lieu je ne sais si tout le monde saisit bien la portée toujours révolutionnaire de ces deux affirmations de base : le moi n'est pas une substance, car il n'existe aucune permanence en aucune réalité matérielle, psychique ou spirituelle. Et : il n' y a pas de dieu, qui servirait immanquablement de légitimation narcissique à l'homme qui y verrait une cause, une raison et une finalité. C'est là que le bouddhisme renverse complètement le dogme judéochrétien fondamental : "l'homme à l'image de dieu", formule qui résume bien la prétention irrépressible des hommes à l'immortalité et à la divinisation!. Si après tout cela vous avez encore une sympathie authentique pour le bouddhisme, c'est que vous êtes en voie de Délivrance! Personnellement j'honore absolument Bouddha et ne tolèrerai aucune injustice ou irrévérence à son égard. Mais je pense que les Occidentaux se fourvoient en adoptant un bouddhisme de façade, de complaisance ou de montre et qu'en réalité il faudrait repartir de la tradition la plus originelle et la plus pure de la philosophie grecque. C'est dans cet esprit que je m'honore de réfléchir et de travailler ici, persuadé que nous avons les fondements nécessaires, dans une philosophie rectifiée, pour penser notre modernité tragique, et peut-être y reméder, s'il n'est pas trop tard.