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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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18 novembre 2015

CONTRE les IDENTITES - la singularité

 

Rien ne serait plus dommageable que de voir le monde basculer une fois de plus dans la confrontation des identités. Cette notion est un piège redoutable dans lequel on retombe tête baissée à chaque fois que surgit un conflit d'opinion, qui le plus souvent masque un conflit d'intérêt. Certains, échaudés par les événements récents, ne voient d'autre solution à l'incertitude présente que de réchauffer un "identité chrétienne" dont le fantôme prèterait à rire s'il n'évoquait de détestables époques de chasses aux sorcières, de bûchers inquisitoires et de guerres civiles. D'autres oublient tout simplement la séparation de l'Eglise et de l'Etat, qui a su pacifier le pays en dégageant le politique de la sphère religieuse. L'affirmation sans retenue d'une obédience queconque ouvre imprudemment la voie aux conflits confessionnels, dont le déferlement ruinerait l'esprit même de la République. Le Bien Public est par définition au delà des intérêts privés, des affiliations de parti ou de confessions, il garantit la souveraineté, vise la sécurité générale et la prospérité. Il n'a d'identité que politique.

On ne saurait tolérer qu'un tel dise qu'il est chrétien, juif ou musulman au premier chef, Français en second, car de ce fait il rompt le pacte social, faisant passer le particulier avant le général. Pourquoi ne dirait-il pas qu'il est d'abord périgourdin, ou asthmatique, footballeur ou musicien ? Toutes ces qualifications sont honorables en soi, mais pourquoi les revendiquer comme des marqueurs d'identité ? Chacun pourra y aller de sa petite particularité subjective,  se cramponner à sa fantaisie privée, afficher ses colifichets comme on fait d'un percing ou d'un tatouage, la belle affaire !

Il se trouve que je suis Français pour être né en France de mère française : c'est un hasard, si on veut, mais il se trouve que par un acte réfléchi j'assume cette appartenance, et m'y sens, pour l'heure, à l'aise, de trouver dans cette république, à défaut de la perfection, une condition politique et culturelle vivable. Est-ce une identité? Oui, si par là on entend un accord rationnel, une convenance raisonnable, une adhésion aux principes fondamentaux. Si tel n'était plus le cas il ne me resterait qu'à m'incliner, ou à parir. Ce n'est là qu'une identité politique, et je la respecte, mais rien de plus. Elle ne définit pas mon être privé, lequel ignore en fait toute identité, et religieuse, et culturelle, et d'opinion, et d'affiliation. 

"Qui es-tu ?" demande l'Empereur à Bodhidharma.

"Je ne sais pas ".

Tout mon effort, au long des ans, a consisté à me défaire de mes appartenances, lesquelles nous collent à la peau, font peau, font corps, moelle et os, jusqu'à déterminer nos pensées, que nous croyons nôtres de ce qu'elles surgissent d'elles-mêmes, en nous, comme la sueur ou la salive. Il faut un travail colossal pour démêler le propre de l'acquis, quand l'acquis transforme le propre, le façonne, lui donne forme. Le propre n'est pas ce qu'on était au départ, qui n'est presque rien, mais la façon qui fut la nôtre de retravailler l'acquis. On le voit bien par la langue : la langue est acquise, mais notre façon de nous en servir, de la refaçonner et de l'enrichir est notre oeuvre propre, inassimilable à nulle autre. Cela ne constitue pas une identité, laquelle n'est que comparative et différentielle, mais une singularité. Voyez la feuille : la feuille n'a nulle identité, c'est nous qui lui attribuons un être fantomatique de feuille dont elle se passe parfaitement, mais chaque feuille développe un mode singulier de croissance et de décroissance, un événement unique et non duplicable. C'est en ce sens que j'entends la singularité, à jamais inqualifiable, inconnaissable, imprédictible - étrangère à tout concept.

Héraclite écrit : "nous sommes et nous ne sommes pas". C'est que le terme d'être, dont nous faisons le fétiche phallique de l'identité, objet et cause de la convoitise universelle, ne convient nullement. Il ne fait que masquer ce fait peu remarqué : à vouloir définir quoi que ce soit et qui que ce soit, on ne fait que remplacer un mot par un autre, dans une ronde sans fin, à l'écart de la chose. Je n'ai pas d'identité - hors la convention politique à la quelle je souscris par ce que je ne puis faire autrement - pour tout le reste je ne vois que des processus évolutifs, des transformations, des relations insondables, des énigmes - pragmata - pour lesquels, à défaut de mieux, mais en sachant que ce n'est qu'une approximation - j'utilise à dessein le terme de "singularité".

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Commentaires
D
Lire "Histoire de la carte nationale d'identité " de Pierre Piazza;
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N
Sans tomber dans l'apologie du terrorisme mais en reflechissant comme un philosophe l'Europe a de quoi s'inquieter parce que les terroristes vivent en fait comme dans la grece antique ou comme les vikings : pas de boulot, les femmes font la bouffe et le menage et servent d'esclaves sexuelles, quand une position est prise au combat ils recuperent le butin ce qui doit etre jouissif, il y a aussi un esprit de fraternité entre les combattants et les fanatiques ont un ideal que nous n'avons plus, enfin ils doivent reflechir pas mal pour etablir des stategies de combat...de quoi seduire pas mal de monde en fait et de quoi mediter sur le systeme democratique que nous avons inventé et qui quand meme nous a rendu comme des moutons, mou de corps et de l'esprit.
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C
Et pourtant les Z'hommes poursuivent leurs entreprises <br /> <br /> Et notre génétique s'amuse à nous faire croire que nous nous reproduisons entre nous, alors que nous ne sommes qu'un tube à essai de la génétique qui doit bien se marrer<br /> <br /> LA Morale ? "Il n'est pas de vent favorable à celui qui ne sait pas où il va" Sénèque<br /> <br /> Merci Guy<br /> <br /> Pour vous distraire je partage avec vous <br /> <br /> https://www.youtube.com/watch?v=UrdPaxfrbqs <br /> <br /> J'ai beaucoup de plaisir à vous lire ... aussi !
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D
L'identité française est une "convention"parmi d'autres, (ce qui ne veut pas dire qu'elle a une valeur égale à toute autre convention), une manière artificielle de se relier à d'autres avec lesquels nous "contractons", même si ce contrat est, en fait, tacite. <br /> <br /> <br /> <br /> Je vous rejoins sur ce plan, cher Guy, ainsi que Clément Rosset pour lequel l'identité étant introuvable, elle se résume à la seule "carte" (d'identité) sur laquelle figurent nom, prénom, date et lieu de naissante, nationalité etc. autant d'éléments qui ne disent rien de ce que je suis mais qui marquent mon appartenance à un certain régime de conventions.<br /> <br /> Ce caractère artificiel de la convention n'est pas rien. Il se structure dans la sphère publique à l'aide d'outils juridiques et politiques. Le principal étant la laïcité.<br /> <br /> En séparant l'espace privé et l'espace public (res publica) qui appartient à tous, la laïcité neutralise le risque identitaire en reliant les citoyens sur le terrain universel de l'intérêt public, tout signe ostentatoire en matière de religion ou de dogme étant banni. La neutralité de l'Etat vaut donc comme principe de neutralisation de tout penchant prosélyte, articulant le citoyen à un intérêt supérieur : la paix civile, la stabilité politique, la concorde. <br /> <br /> En cela, la laïcité est un instrument de déminage nécessaire. Encore faut-il en comprendre le sens et la protéger résolument par le droit contre ceux ou celles qui agitent les origines blanches et chrétiennes de la France ou qui pointent du doigt les musulmans. Ceux-là, même s'il s'en défendent, jouissent de la violence qu'ils encouragent et constituent de réelles menaces pour le maintien de nos conventions nationales. Les tenants d'une identité définitive et circonscrite ont toujours poussé les hommes au massacre, au bûcher, à l'extermination, à la désignation des hérétiques ou des parasites. <br /> <br /> Il est à craindre que les récents événements parisiens renforcent cette logique paranoïaque.
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