REVES BLANCS-NOIRS- LIVRE QUATRE
LIVRE QUATRE - MATINALES
28
PETITS POEMES MATUTINAUX
1
J'avais oublié le Grand Nord
Les socs du froid qui vous labourent
Les nuits interminables
L'oeil du vortex qui paralyse.
2
Oublieux de tout
J'ai plongé dans la profonde nuit
Dispersé dans l'Immense
Tout embué
Je m'éveille à la première pipe
Dans le monde poétisé
Je danse avec les dieux.
3
Froissement d'ailes
Grive ou moineau?
Givre des matinaux.
4
Il n'est rien qu'il ne fasse
Le temps aux mille tours
Qui vient, qui va, qui passe
Et jamais ne repasse.
5
A l'embouchure de ton corps
J'ai bu la première étoile
Depuis je ne rêve que de toi.
6
Ce que femme veut
Nul ne le peut
Pas même un dieu!
7
Dans le jardin au coeur du monde
Accueille les pensées sans cueillir
Prends soin de ton coeur.
8
La forme s'inscrit dans la neige
La neige vient, la neige passe
Forme se fait, forme s'efface
Ne dis jamais "jamais"
Ne dis jamais "toujours".
9
L'hiver pince au coeur
Cris noirs sur la neige blanche
Tout va, tout se meurt.
29
Célébrons la beauté des choses
Les plaisirs que le temps vola
Les roses sont toujours les roses
Si même je ne suis plus là
Aube qui vibre entre les cils
O doux visage de l'enfance
Ainsi toujours en sera-t-il,
Tout se défait tout recommence.
30
Indigné du soleil qui te blesse
Tu hèles l’éphémère
A te sauver la mise,
Quand d’autres oublient la rude tâche
De tirer ce qui passe
A la cime aiguë du dire.
Et c’est à tort qu’on les appelle
Poètes, eux, les maldisants,
Indigents de l’unique, de la belle
Exigence du vrai désir. Trop pressés de courir
A la gloire, ils oblitèrent le réel
Qui nous poingt de sa serre de fer. Mais toi,
Si tu te crois indigne, et délaissé,
Tremblant dans la profonde nuit,
Tu pressens dans ton cœur déchiré, labouré,
Dans l’incendie blanc qui te consume
Dans le glacier fracturé de la terre,
La lettre nue du plus grand amour.
31
Vaguement frangé de rose
Le satin du ciel
M'accueille dans sa corolle
Dispersé dans la lumière
Tout est là je ne suis rien.
32
Sur les herbes de la pampa
Le vent hurle, le vent
Vrille du rouge
Van Gogh dans les Corbières
33
Déluges de feuilles
Toutes les couleurs sous le ciel s'exaspèrent
L'automne à l'orient fait retour
Le feu du ciel n'aura jamais de fin.
34
Le vieil homme, assis auprès du feu, hoche la tête au souvenir de tous les événements passés, et considérant les événements présents, il se parle à lui-même : "C'était le printemps de ma vie, puis l'été, puis l'automne, et voici l'hiver. La roue tourne" se dit-il, et il hoche la tête.
"La roue tourne. Mes enfants sont grands maintenant, et mes petits enfants entament leur vie d'adultes. Bientôt je ne serai plus".
"La roue tourne. Déjà elle me rejette hors de son cercle. Elle tourne, et moi je la regarde tourner. Déjà elle ne me concerne plus. Ou plutôt, elle ne concerne plus celui que je ne suis plus".
"Ce n'est pas l'extinction, c'est la dernière peau, la dernière camouflure. Bientôt toute peau deviendra inutile. Délivré du désir de vivre encore et encore, autant que du désir de mourir, je laisse tout doucement s'éteindre la flamme. Bientôt j'aurai atteint le but ultime : je ne renaîtrai plus".
35
Le déluge a submergé la terre
Ravagé les maisons, les jardins, les machines
Dévasté les temples et les dieux,
Seule monte
Une arche de lumière dans le ciel blanc du coeur
Eblouissante et bienheureuse.
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En hommage à Henri BAUCHAU, pour son roman extraordinaire : "Déluge"
36
Le printemps suave
De sa lumière dorée
Inonde la terre
Tout doucement vont les choses
Nul ne sait où ni comment
37
O Muse, toi la perdue, l'insaisissable
J'ai tant crié vers toi, tant imploré
Ton retour, mais tu ne reviens pas, tu creuses
Sans fin la chair de mon amour!
Mais ton image je la garde, ineffaçable
Dans tout ce qui séduit de par le monde
Et scintille et miroite, et qui s'efface
Hélas, et qui revient encore.
Poète, c'est le destin de l'homme seul,
De se tenir boitant à la lueur
Oblique d'un présent qui nous glisse
Entre les doigts comme un peu d'eau!