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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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24 janvier 2014

De la POESIE

 

 

Il est bien difficile de déplier l'inconscient, il semble que les éléments inconscients, comme les têtes de l'Hydre de Lerne, repoussent à mesure qu'on les coupe. Il faut être plus ferme et hardi qu'Héraklès pour en venir à bout. Aussi ne s'agit-il en fin de compte ni de couper ni de refouler encore, mais de faire avec, de dialoguer en se rendant disponible et attentif.

La vraie question, que Nietzsche a très clairement énoncée, est la suivante : quelle est la force qui s'empare d'une formation culturelle, d'une attitude, voire d'un symptôme, qui en eux-mêmes n'ont guère de signification. Prenant l'exemple de l'ascétisme - neutre en lui-même - il cherchera à établir quelle est l'intention secrète qui commande un tel style de vie, ce qui à tour rendra possible une symptomatologie différentielle, puis une typologie. Par exemple, l'ascétisme épicurien n'a rien à voir avec l'ascétisme religieux. Epicure prône une askesis, une discipline des désirs, le religieux vise la mortification du corps. C'est tout à fait différent, dans la volonté, le style, la pratique, le résultat. (Comparer la Lettre à Ménécée avec le Phédon de Platon). Typologiquement l'épicurien est un régulateur, le platonicien un négateur. L'un vise l'équilibre des forces, l'autre la disqualification du corps et du sensible.

Dans le même esprit je me demande quelle est la force qui soutient mon amour de la poésie, dont j' ai pu dire qu'elle était ma première maîtresse, la plus exigeante et la plus capricieuse. Avec le recul j'y vois à l'oeuvre - je ne parle que pour moi - une persistante et secrète dimension religieuse, comme si la poésie avait pris, un temps, la place de la religion définitivement disqualifiée. C'est toujours le vieux rêve de totalité signifiante, de clôture du sens, de parousie, de révélation ultime. Comme si le poète en savait plus sur la destinée, l'origine et la fin, et que son oeuvre manifestât la vérité cachée. Comme s'il était possible de saisir, dans l'émotion artistique, ce qui se dissimule à l'intellect et à la raison. Comme si la poésie pouvait outrepasser les limites de la connaissance et sauter à pieds joints dans l'absolu. Comme si, en un mot, elle était la prophétie des temps modernes, quand la religion a sombré dans le néant.

Structurellemnt il s'agit toujours de la même illusion : faire coïncider le mot et la chose, extirper le signifiant-maître qui révèle le sens, abolissant le tragique de l'inconnaissance et de la finitude. Le croyant appelle cela Dieu, le poète la Beauté. Mais ce ne sont là que constructions mentales, destinées à rendre supportable l'inanité de notre condition. Le besoin pathétique de sens, quelles qu'en soient les modalités, est le fondement de l'attitude religieuse. La chose m'est apparue récemment avec une force inouïe en relisant Heidegger. Son interprétation de la poésie de Hölderlin, poète que j'aime entre tous, m'a laissé pantois : le poète serait le Berger de l'Etre, celui qui annonce, dans les temps de détresse où nous sommes, une parousie, Fête de fiançailles de l'homme et du dieu, l'âge nouveau après le déclin de la métaphysique, etc. Tout cela n'est pas très sérieux, d'autant moins que Hölderlin lui-même abandonnera cette position "prophétique" dans ses derniers hymnes. Mais le vrai problême est ailleurs : Heidegger rejoue Platon (la mania poétique, mantique et prophétique) contre la sobre rationalité épicurienne.

Tout cela ne condamne pas la poésie, mais interroge les mythes persistants qui la soutiennent et lui confèrent cette exaltation hypomaniaque, si dommageable, qui tient les modernes désabusés à l'écart de ses productions. Je rêve d'une poésie sans pathos, sans exagération, sans mythologie qui narrarerait froidement le monde où nous sommes, claire et directe comme un coup de poing.

A vrai dire, pour un tel projet, rien ne vaut la prose. Et c'est peut-être en prose que l'on sera plus authentiquement poète, comme on voit chez certains romanciers qui allient la beauté du style à la vérité. Dans ce registre je suis souvent ébloui par des romans japonais, toujours extrêment sobres et ramassés, qui laissent rêver le lecteur au lieu de l'assommer. Concision et fermeté me semblent parfois préférables à la beauté elle-même.

 

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Commentaires
L
C'est étrange, votre article me renvoie à l'extrait de Zola que j'ai posté aujourd'hui (http://ladybirdlp.canalblog.com/archives/emile_zola/index.html) et aussi (surtout) à celui de Rimbaud (http://ladybirdlp.canalblog.com/archives/arthur_rimbaud/index.html) ! Enfin, n'ayant pas lu Heidegger ou de romans japonais, je vais peut-être être hors sujet mais peut-on vraiment parler de poésie qui narrerait froidement le monde ?<br /> <br /> Cordialement
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D
Quelques titres ?<br /> <br /> Pour ma part, j'ai beaucoup aimé La femme des sables de K. Abé, mais je n'y verrais certes pas un roman "extremement sobre et ramassé".<br /> <br /> Crdlmnt
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