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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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22 janvier 2014

CELA NE COLLE JAMAIS : d'une critique radicale

 

 

"Cela ne colle jamais". Voici une proposition essentielle, qui me semble exprimer la vérité indépassable de l'organisation psychique.

Cela ne colle jamais : la réalité ne vient jamais recouvrir complètement les souhaits du coeur. Et quand elle semble miraculeusement adéquate, très vite un écart se creuse, et l'insatisfaction renaît. C'est l'expérience des naïfs qui crurent un instant que de gagner au loto comblerait tous leurs désirs.

Cela ne colle jamais, ça veut dire aussi que l'ordre symbolique est une chose et le réel une autre. Impossible d'ajointer les deux. Il y a toujours un trou dans la structure, que l'on s'empresse de colmater, et qui toujours réapparaît. On peut rêver d'un signifiant idéal et définitif qui relierait les deux ordres, exprimant à la fois la vérité symbolique et l'ordre des choses, mais cela ne se peut si le mot n'est pas la chose, et si par nécessité interne, tout mot, parce qu'il est un mot, creuse un écart infranchissable. Dans toutes les traditions connues le mythe avait pour fonction de dire l'origine et la fin, recouvrant les deux brèches par le signifiant-maître, et c'est encore ce que la philosophie classique s'efforce de produire avec l'idée de Dieu. "Dieu ne saurait être trompeur" : en lui reposent les lois éternelles de l'univers. Penser Dieu c'est penser le monde. - Tout cela ne tient pas.

Cela ne colle jamais signifie qu'il est impossible de penser une origine et une fin : l'origine est toujours relative, une cause renvoyant nécessairement à une cause antécédente, et cela à l'infini. Si le sujet veut saisir le point zéro de son origine il sera renvoyé de la cause proche (sa conception) à celle de ses géniteurs, qui à leur tour...Et tout cela se perd dans la suite ininterrompue des générations, jusqu'au big bang, qui lui même ne peut se targuer d'être une origine absolue. Il en va de même dans les phénomènes psychiques : où est mon propre commencement mental? Dans la série infinie des processus, physiques, physico-chimiques, électriques, énergétiques, psychiques, sociaux et historiques jamais de commencement absolu, et jamais de fin. Car la fin est tout aussi inconcevable que le commencement. Cela continue encore et encore, hormis ma propre fin, certaine et incontestable. Les religions posent un commencement et une fin, orientant l'histoire selon l'axe d'une signification d'ensemble, comme la résurrection ou quelque parousie finale où l'histoire s'abolirait dans le Grand Retour. Cela signifie que la religion a horreur du vide, que sa fonction est de colmater la brèche, d'imposer un Sens et de garantir la finalité. Structure saturée où le sujet est délesté de son manque à être constitutif.

Cela ne colle pas : les deux bouts de l'histoire ne sont pas des bouts, car il n' y a pas de bouts, mais l'ouverture infinie des deux côtés. C'est dire qu'il n' y a pas de philosophie de l'histoire, pas plus que de métaphysique. Ces deux disciplines (?) sont des variantes modernes du mythe, avec la même structure saturée.

Cela ne colle pas : le sujet ne peut se recoller lui-même dans une synthèse qui lui permettrait de s'identifier et de se saisir lui-même dans une parfaite coïncidence de soi à soi. "Cela" le traverse, cela s'échappe d'instant en instant, quoi?, le processus multiple et divers de la vie organique, de la vie psychique, dans un vivre qui déborde de toutes parts, et à l'avant et à l'après, et dans le maintenant insondable. "Tout coule", et jamais cela ne fait un tout, un être, une substance. S'il y a un sens ce n'est pas comme sens total et omni-englobant, mais très précisément par le trou qui soutient la structure dans son ouverture, dans la mesure exacte "où l'absence fait sens" : sens à jamais multilple, plurivoque, ambivalent, ambigü, ouvert et indécidable.

Maintenir ouverte l'ouverture tel est le pari d'une philosophie du sujet qui ne se paie pas de mots.

 

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Cet article m'est assez largement inspiré par une sorte de haut-le-corps éprouvé à la lecture de Heidegger, lequel, bien revenu des ardeurs religieuses, n'en replonge pas moins dans une attente mystique de l'Etre, dont poètes et penseurs seraient les voix avant-coureuses et prophétiques. A moins que, cela se peut aussi, je n' y ai rien compris!

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Commentaires
Z
Merci pour ces quelques fines réflexions, jetées au grès du vent comme autant de petits cailloux blancs que j attrape au vole et structure mon errance.
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