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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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11 novembre 2008

Les FAUX MONDES : visages du SAMSARA

La tradition bouddhique évoque souvent certains mondes à travers lesquels les humains transitent, et cela indéfiniment, sauf libération définitive dans le nibbâna. Mondes des enfers, des animaux, des dieux déchus, des humains, des monstres affamés et des dieux. On voit d'emblée que si l'on écarte la version mythologique on obtient un remarquable descriptif de la psyché humaine et de ses variations caractéristiques : par exemple le monde des Enfers est manifestement l'état passionnel de la souffrance extrême : haine, envie, jalousie etc. Le monde des monstres affamés définit la voracité cannibalique. Le monde des dieux n'est pas épargné davantage comme système des illusions de béatitude, d' immortalité que chacun porte en soi. Bouddha déclare sans ambages que le monde des dieux est un obstacle très sérieux au nibbâna en raison des satisfactions narcissiques qu'il apporte : en effet, qui, parvenu à l'extase, voudrait redescendre dans le monde humain? Ce n'est là que situation transitoire obtenue par exemple lors de la méditation ou de la contemplation et qui disparaît le plus souvent au sortir de l'état méditatif. Croyant chercher le nibbâna le disciple vise en fait le monde des dieux. Il lui sera bien difficile d'y renoncer pour reprendre la longue route de la libération. Mais le plus souvent c'est le réel qui nous enseigne : nous croyons avoir atteint quelque perfection, c'est le réel qui nous renvoie impitoyablement dans la réalité de notre condition : monde des dieux déchus.  Paradoxalement ce monde est plus vrai que le précédent : au moins l'illusion peut-elle être rétrospectivement vue et analysée. Bouddha est d'un réalisme psychologique impitoyable. Il déniche les constructions mentales délirantes jusque dans les replis de l'âme. On comprend mieux pourquoi il dénonce sans relâche les illusions de la substance du Moi. S'attribuer un moi, objet de construction mentale, revient à lever explicitement un mur devant soi pour s'empêcher de voir. Peu importe à la fin que le sujet se prenne pour un animal en enfer, un dieu, un héros ou un sage. Tant qu'il se prend "pour" quelque chose ou quelqu'un il édifie par soi même l'obstacle à la vérité.

On demandera avec pertinence : "Mais qui sait s'il existe un état au delà des illusions? Et quand, et comment saurai-je si j'ai jamais atteint un état de ce type? Et pour quel bénéfice?" D'emblée ces questions de type religieux nous jettent dans une sorte de marasme. Qui pourrait répondre à cela? Et au nom de quoi? Aussi Bouddha, tout en réaffirmant le nibbâna comme but ne cesse-t-il de nous mettre en garde contre toutes les représentations que notre incorrigible Moi pourrait en formuler. "Ni ceci, ni cela". "Ni les dieux ni les animaux ". "Ni les humains ni les sages". "Ni les saints ni les criminels". Au fond : personne, car toute personne que je pourrais nommer déboulerait à l'instant dans un des royaumes ci-dessus décrits. Les royaumes psychiques ne sont que les images sensibles et évidentes du Samsâra.

Mais quid du "samsâra"? Ce terme désigne originellement et mythologiquement le cycle infini des naissances et des morts au travers duquel un "individu" peut transmigrer, indéfiniment, sauf nibbâna. Plus concrètement cela désigne les divers états de dépendance, d'aliénation, de servitude psychique par quoi nous sommes maintenus dans la grande Roue. Le samsâra désigne ainsi le cycle effroyable de la répétition que chacun peut vérifier dans sa propre vie. On veut changer, on veut se réformer, se connaître pour se perfectionner et je ne sais quelle fatalité vous ramène à chaque fois dans les mêmes ornières. L'impression momentanée de changement vient du fait qu'on a basculé d'un Royaum dans un autre : par exemple de l'enfer dans le monde des dieux. C'est très agréable (en psychiatrie : délire maniaque ou hypomaniaque) et voilà que subitement on retombe dans l'enfer dépressif ou mélancolique. Et cela continue, et cela continue...

Tout lecteur averti reconnaîtra dans cette analyse les cheminements pervers et répétitifs de l'inconscient tels que la psychanalyse en reconstruit le modèle dans des termes à la fois différents et similaires : compulsion de répétition, névrose de contrainte, tyrannie du surmoi, exacerbation des pulsions, instinct de mort etc. Peu importe le détail. D'ailleurs on peut tenter des synthèses entre les deux traditions, mais ce n'est peut-être pas souhaitable. Nos petites et grandes névroses sont-elles autre chose que cette lamentable litanie de fausses joies et de vraies souffrances dont nous accusons le monde entier et le dieu et la destinée?

La vraie question demeure : quelle issue? Je n'en ai à proposer aucune, et pour personne. Je constate les faits. Je dénonce ces illusions contemporaines du Développement personnel, de l'autonomie, de la libération des désirs, de l'imflammation du fantasme et autres balivernes pseudothérapeutiques. Je constate avec une certaine tristesse l'extrême difficulté à évoluer et à se renouveler. Je vois partout revenir les mêmes infamies et les mêmes faux progrès. Je vois de ci de là des percées éblouissantes suivies d'obscurcissements calamiteux. Et je me vois moi-même, pas mieux loti que quiconque. Ce que désigne pour moi le beau mot de "nibbâna" n'a aucun rapport avec les saluts religieux ou idéologiques, les promesses de paradis et de béatitude, mais  bien l'éclatement de toutes les représentations. En quoi la leçon de Pyrrhon est irremplaçable. Cela peut être l'éclair d'une intuition immédiate. (Je pense à ces maîtres chinois qui se riaient des pauvres d'esprit qui espéraient obtenir l'illumination au terme d'innombrables années de pratique avec pour seul résultat de se figer dans l 'immobilité de la pierre). Peu importe la durée. Ce qui compte c'est d'avoir compris, et une seule fois y suffit, que le Samsâra c'est la représentation, que la représentation est cet ordre imaginaire, linguistique et symbolique qui organise notre vie, et qu'au delà c'est le réel, dont nous ne pouvons rien dire, qui pulvérise toutes nos pensées, ouvre un vide (ou en terme bouddhique une vacuité) que jamais rien ne remplira plus. Mais aussi, et j'y insiste, que le monde des représentations n'est pas éteint pour autant, qu'il est à la fois nécessaire, aliénant et constituant. Inutile de rêver d'un autre monde : il n' y en a pas. C'est la Bonne Nouvelle de Bouddha : nous sommes tous dans le samsâra, nous pouvons comprendre que ce n'est qu'une construction mentale, y renoncer en quelque sorte, pour découvrir que pour autant nous ne pouvons vivre ailleurs qu'ici, définitivement libres et définitivement enchaïnés

On peut mieux comprendre mieux pourquoi certains bouddhistes, et non des moindres, diront que samsâra et Nirvâna sont la même chose, non pas vraiment une seule, mais pas davantage deux distinctes et opposées. Ni un, ni deux, mais  non-deux.

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