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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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25 octobre 2008

La RETRAITE de SENEQUE

Sénèque avait compris que rien ni personne n'arrêterait plus la folie de Néron qu'il avait jadis instruit dans la philosophie et qui passait jusque là pour un jeune empereur doué, intelligent et pacifique. Mais les temps ont changé. La perversité du monarque se fait chaque jour plus évidente, plus irrésistible. Qui ne l'admire jusqu'à l'idolâtrie se voit condamné à mort. Et lui Sénèque ne tient pas à mourir si tôt. Il lui reste à accomplir l'oeuvre plénière de sa vie, dans un détachement total de la politique et des finances ( - il était le négociant de plus riche de l'Empire), dans un retrait silencieux, digne et noble, dans une posture de hautaine insoumission au potentat du jour, dans une sorte de glorification où le stoïcisme et sa propre personne autolégitimée se verront éternisés dans la conscience philosophique. Pour cela il lui faut le silence de la campage, la sollitude, la méditation, et enfin, Sénèque étant Sénèque, une oeuvre qui fasse date dans l'histoire, à la hauteur, pour le moins, du "De natura rerum" de Lucrèce, son rival en philosophie.

Ce qui m'intéresse dans cette affaire c'est moins la référence stoïcienne de Sénèque, l'oeuvre littéraire effectivement remarquable issue de ces trois années de retrait, que la posture choisie par l'auteur-philosophe face aux pouvoirs, à la société contemporaine, et à l'immortalité. Pour qui Sénèque écrit-il en s'adressant à ce Licilius à peu près inconnnu? Pour la postérité évidemment, au delà des quelques lecteurs  qui auront acès à son ouvrage. Pour lui-même, c'est évident aussi bien. Pour la conscience philosophique habitant le coeur de son être - ce que les Stoïciens grecs appelaient "la gouvernance", cette instance supra personnelle identique en chacun à la Raison universelle, dans laquelle nulle conscience individuelle ne saurait vraiment périr. Il en appelle à ce qui lui semble exister de plus haut, dans l'immanenece cosmique du dieu-nature, en qui il reconnaît son origine et sa fin. Voilà qui donne à notre homme condamné la force et la certitude intérieure. Contre cela nul ne peut rien, ni Néron et ses sbires, ni la ciguë, ni les tortures et les affres du supplice. Sénèque se sait condamné. Il se tient prêt. L'heure est solennelle. En s'exposant dans cette libre solitude, en ne pliant point, en ne reniant rien de sa valeur, il oppose à la brutalité, à la monstruosité, à la violence physique la simple noblesse de la pensée. Quand viendra le centurion avec l'ordre impérial Sénèque se donnera la mort sans broncher.

Pour moi, je ne suis menacé ni par le pouvoir, ni par la police, pas plus du moins que quiconque. Et pourtant je vis à présent  sous l'aplomb de la mort, avec une lucidité exaspérée, sans remède. Mais pour l'instant cela ne me trouble pas particulièrement, sauf quand je me représente la kyrielle des désirs inassouvis, des projets avortés et des ratages de toute sorte. Mais qui peut déclarer avoir mené pleinement l'existence qu'il désirait? Même Goethe, même Léonard, ces monstres d'intelligence et de créativité, ont déploré leur existence inachevée. De toute manière c'est la mort qui décide et le temps ne fait pas grand chose à l'affaire. "J'aurais pu ceci, j'aurais pu cela..." A réfléchir on s'aperçoit que tout cela est assez secondaire. Je préfère me resserrer sur mon présent, et ici Stoïciens et Epicuriens se rejoindront par delà les oppositions radicales, s'il est entendu que seul le présent est réel. La position de Sénèque ne manque pas de grandeur, bien que liée à des circonstances particulières. Mais en temps "normal" la position de Montaigne me semble plus juste, moins déclamatoire: "Je veux que la mort me surprenne dans mon champ, négligeant d'elle, et de mon ouvrage imparfait". Voilà qui est d'un honnête homme. Ou encore Epicure, au comble d'atroces douleurs, dictant sa dernière lettre à Idoménée, se couchant dans l'eau fraîche d'une baignoire, buvant son dernier verre de vin avant de s'endormir pour l'éternité.

On choisit rarement sa mort. Si je le pouvais j'aimerais assez m'endormir dans une paisible sieste et ne jamais me réveiller.

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Commentaires
G
je me veux le créateur original d'une nouvelle discipline psychocorporelle digne des hautes traditions du Yoga, et de la méditation bouddhique. En ce temps singulier où fleurissent les écoles les plus diverses et les plus saugrenues pourquoi n'ajouterais-je pas ironiquement ma propre discipline au catalogue fameux et fumeux des nouvelles bobologies existentielles? Après avoir pratiqué les arts martiaux, le yoga, le Chi Gong, le Tai Chi, la relaxation et la sophrologie je fais le bilan. Tout cela est admirable et ne mérite guère de commentaire, sauf que la vie est la vie et qu'aucune pratique ne vous dispense des innombrables maux de l'existence. Cela certes n'enlève rien à la valeur d'une authentique discipline. Mais ce qui me fâche c'est de voir les gens baguenauder en tout sens, passant d'une utopie à l'autre, d'un psy à l'autre, d'une drogue à l'autre sans jamais réaliser que "le vase est fendu"(Lucrèce) et que nul ne peut rien à l'affaire. La philosophie seule peut vous faire accéder à cette vérité. L'ultime savoir est toujours le savoir de l'ignorance. J'en tire cette conclusion révolutionnaire que rien ne vaut la pratique de la sieste, en laquelle je prétends exceller, mais qui ne s'enseigne pas. Aussi le vrai siestologue n'a -t-il pas de véritable disciple, ce qui est en soi la preuve de son excellence.<br /> Ceux qui cherchent des disciples en sont encore à rechercher une reconnaissance qu'ils ne trouvent pas en eux-mêmes. Pour moi, lecteur et non disciple de Montaigne, j'apprécie fort "son mol oreiller du doute", sauf que je prétends parvenir à un niveau où le doute lui-même est abandonné aux orties pour la paix sans trouble d'une disparition psychique quasi absolue. Il est toujours assez tôt pour ouvrir les yeux, et sur la beauté, et sur l'horreur du monde.
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