Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 057 066
24 juin 2008

De l' ABJECTION

Pourquoi ce que nous qualifions d'abject provoque-t-il en nous une irrépressible répulsion? Cela heurte évidemment notre conscience morale, à supposer que nous en ayons une. L'acharnement de trois ou quatre malfrats armés sur un pauvre gamin sans défense nous paraîtra abject. La torture pour le plaisir sadique, le détournement des aides aux sinistrés par des bandes maffieuses, l'organisation systématique de l'appauvrissement voire de la famine, les maltraitances et autres fléaux heurtent notre sensibilité frottée de morale, nos convictions les plus chères et nos valeurs les plus légitimes. Mais, parce qu'il y a un mais, de la sorte nous nous dispensons le plus souvent d'analyser plus profond, et de découvrir que notre gêne n'est pas seulement une pure et simple condamnation, mais un ingrédient plus complexe de jouissance inavouable et de culpabilité. Et pourquoi la culpabilité si nous n'avons aucune participation aux faits? C'est sans doute qu'il existe en nous une secrète participation psychique, des résidus non règlés de sadisme inconscient, ou de masochisme secondaire. C'est là qu'on retrouverait quelques aphorismes énigmatiques de Lacan : " je pense où je ne suis pas" ou " Je désire ce que je ne veux pas".  Je me pense comme sujet moral, je me veux social et moral, et je me découvre secrètement pervers. Mon désir ne se plie pas complètement aux lois, ni de la cité ni de ma psychè socialisée. Quelque chose résiste à la moralisation, quelque chose tire du côté de la jouissance inavouable, du fantasme pervers, de l'insociabilité si l'on veut, mais surtout vers l'archaïque, le démoniaque et le diabolique. Satanisme du saint qui se veut saint et qui n'est que barbare ou fanatique. Il y a dans les religions quelque chose de cette horreur, si l'on songe à l'Inquisition, aux persécutions et aux régimes théocratiques. Bien entendu le totalitarisme n'est pas en reste, et c'est que ce régime prétend absorber le sacré dans le profane, et se retrouve immanquablment à créer des goulags pour incrédules et autres sceptiques récalcitrants. Bref, ce qu'on chasse par la porte revient par la fenêtre. Il serait bien vain de croire que l'on puisse évider totalement l'inconscient de ses miasmes. L'excès de contrition fabrique des pervers.

Tout ceci nous invite à mieux examiner les rapports complexes du désir et de la Loi. On pourra distinguer une fausse loi, celle d'un Surmoi tyrannique, sadique-anal, persécuteur dont la fonction serait de créer une obéissance inconditionnelle aux diktats extérieurs : parents, professeurs, gendarmes, police, Etat, parti etc. "Sustine et abstine". Dans le genre les Stoïciens font fort, mais Rousseau de même qui exige une soumission inconditionnelle à la Volonté Générale. Tout cela n'engendre que dictature et totalitarisme. le pire étant que celui qui se soumet de la sorte se croit en paix avec sa conscience, alors qu'il est traître à la véritable Loi fondamentale. Celui qui ouvre le portail d'Auschwitz n' a-t-il pas l'aval de son supérieur? Et ainsi de suite. Si bien que nul n'est reponsable et tous coupables. Le Surmoi ne fabrique que des lâches, des peureux, des obsessionnels et des mélancoliques. La dernière volonté du Surmoi n'est-elle pas d'écraser, limer, éradiquer le désir? Paradoxalement le Surmoi qui se veut l'incarnation de la Loi en est la premier contempteur, transgresseur et négateur : le pervers joue avec une loi qu'il feint d'ignorer pour mieux la contester. C'est ainsi que Savonarole, pour rédimer la luxure des Florentins, les jette dans la terreur, l'obscurantisme, la délation et le bûcher. Pour combattre le vice il verse dans le crime.

Cela mérite une première conclusion : dans tout système de savoir ou de pouvoir il a un restant de non-éliminable, une part maudite si l'on veut parler comme Bataille, ingérable, inéliminable, et si on se mêle de réduire cette part elle produit une sorte de renversement catastrophique, ce que nous voyons bien dans les révolutions. Montaigne proposait de ne pas trop bousculer les institutions, ce qui serait ruineux pour tous, alors que l'institution, dans sa pente naturelle, glisse vers une sorte de malléabilité et de mollesse qui la rend finalement moins tyrannique : on peut toujours s'arranger entre honnêtes gens. Avec les fanatiques jamais. Ne précipitons pas trop les choses, et comme disent les psychiatres, il est urgent d'attendre. On peut miser sur la corruption et l'affaiblissement naturels des systèmes comme le fait notre sage du Périgord, mais pas trop longtempos quand même : parfois il faut hâter un peu le processus, avec doigté et souplesse.

Mais alors dira-t-on, si le Surmoi est cette Loi à l'envers qui en interdisant et obligeant crée la perversion et le malheur, que serait la véritable Loi? Disons que rien n'oblige a priori que la Loi prenne la forme de la tyrannie et de l'oppression. Relisons Spinoza : "le désir est l'essence de l'homme". Si l'on opprime le désir on le pervertit. Est-ce à dire qu'il faut tout permettre? Certes non. Il faut interdire le minimum possible. Quelques injonctions fondamentales et constitutives de l'humain suffiront. Par exemple : l'interdit de l'inceste, du vol, de la violence sur les personnes, de l'exploitation, de l'oppression. La fonction de la Loi est double : assurer la sécurité publique en règlant les échanges, donner de l'espace au désir et à la raison individuelle pour permettre un juste déploiement des forces. La répression, quand elle est vraiment nécessaire, quand tous les arguments de la raioson se seront montrés inefficaces, surviendra en dernier ressort. La loi doit donner au sujet son statut de citoyen, en lui assurant le droit à la liberté civile de penser, de s'exprimer et de développer harmonieusement sa puissance d'exister.

Même dans ce régime rationnel des désirs et de la Raison il y aura un reste : il y aura des criminels et des pervers aussi sûrement qu'il y aura des gendarmes et des voleurs. La criminalité est "normale" (Durkheim) entendons, inexpugnable, constitutive de la réalité sociale, à la manière d'un résidu inévitable du système de régulation. Cette constation ne doit pas nous décourager : la Loi est toujours à amender, ou plutôt à comprendre dans sa juste acception pour être régulatrice et libératrice.

Enfn, ces observations ont valeur pour la vie psychique. A trop sacrifier aux idéaux on se perd soi-même. A trop vouloir le bien on fait le mal. C'est notre tâche à tous de réformer le Surmoi dans le sens de la souplesse rationnelle, ou, mieux encore, d'accéder à la Loi véritable. C'est le travail d'une vie. C'est le travail de la civilisation. Avec cette dernière évidence : pas d' opération sans reste, pas de savoir sans ignorance.

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
154 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité