DE l' OBSCENE
L'obscène est un produit particulier de la mise en scène. Un décor, une salle de spectacle par exemple, ou un cabaret, une ambiance feutrée, en demi-teintes, claire-obscure, un plateau, une femme qui se déshabille lentement en musique, cela ne fait pas encore obscénité : c'est un sorte de raffinement de l'attente,un jeu subtil avec le désir de voir qu'on satisfait par degré pour le decevoir soudainement à la fin : c'est la mise en scène bien rodée, sans surprise, du spectacle de cabaret. L'obscène commence au delà d'un certain degré de tolérance publique à la révélation, dans une intention de choquer par l'exhibition de l'intime le plus intime, la mise à nu du secret, la désacralisation violente du sacré. Aussi pense-t-on le plus souvent aux exhibitions sexuelles, mais toutes ne sont pas obscènes. La vision d'un dieu grec intégralement nu, comme le fameux Zeus brandissant la foudre, malgré l'impudeur relative d'un sexe viril intégralement donné à voir, n'a rien d'obscène. Pas plus le Michelangiolo de Florence au centre de la Grand'place. Le visiteur non prévenu aura un moment de stupeur devant la crudité du spectacle, mais non pas le sentiment de l'obscène. Dans ces oeuvres d'art rien ne conspire au scandale, mais tout invite à la contemplation émue et reconnaissante.
Dans l'obscène il ya un élément de surprise et de choc. Je me promène tranquillement en ville, un homme exhibe brusquement son sexe dressé devant une jeune fille éberluée. On criera à l'obscénité, au viol visuel, à l'outrage aux moeurs, la police viendra ceuillir proprement l'original pour le mettre en détention. Ici nous avons la conjonction de plusieurs facteurs : choc délibérément asséné à une personne qui n'est en rien concernée par les fantasmes de l'exhibitionniste, qui pense à tout autre chose avant que d'être agressée par un spectacle sexuel qu'elle n'a nullement envisagé ni désiré. L'obscène c'est de l'effractif, donc une sorte de viol, de passage en force à travers la barrière de la peau psychique, une violation de territoire. On sait par ailleurs que cet acte est une forme de sadisme par déplacement du tactil au visuel : on force à voir, sans préparartion, sans consentement de la "victime", dans la brutalité du dénudage. C'est le choc infligé à la jeune fille qui fait jouir l''xhibitionniste : "Tu as peur, tu es choquée, traumatisée, effarée jusqu'à l'orteil, trouée de part en part - donc je suis! Je n'ai vécu et travaillé et rêvé que pour ce mioment unique d'exaltation souveraine, de folie extatique, d'ultime et absolue parousie de mon secret désir! Peu m'importe la suite. J'aurai vécu d'avoir forcé ton désir à se couler dans le mien, à te contraindre à ce terrible aveu à toi-même : petite gourde sans cervelle, je te révèle ton aspiration inavouée, ton obsession première et dernière!". Et ce qui ajoute encore à la jouissance éprouvée c'est le scandale public, l'effarement des spectateurs, leur trouble qui les jette avec lui et elle dans la plus grande obscénité. Magré qu'on en ait, l'obscénité, comme l'angoisse, est contagieuse!
Quelles sont les thématiques obscènes par excellence? On vient de parler du sexe, notamment dans sa dimension organique et ostentatoire, tout en relevant le fait que cet élément à lui seul ne suffit pas. Il y faut une intention, celle qu'on qualifie de perverse. Jouer avec la loi, transgresser en toute conscience tout en feignant l'ignorance. Mais en soi le sexe n'est pas obscène. C'est la présentation sans voile des actes, rapports et agissements qui relèvent en principe du plus intime, donc de l'occulté. C'est là qu'intervient le pornographique pour prendre le relai de l'érotique. Mais que cherche-t-on donc à voir dans un coït, quand tout un chacun sait parfaitement ce qu'il fait lui-même avec sa partenaire. L'obscène est toujours le fait de l'autre, et ce qui m'est propre, je le trouve sale chez autrui (Pour reprendre les distinctions récentes de Michel Serres). La question devient donc : qu'est ce qui fait jouir l'autre? en précisant que dans le fantasme il ne s'agit pas de n'importe quel autre, mais d'un autre secret et intime lui aussi, jusqu'à coïncider mystérieusement avec mon autre intérieur, qui n'est au fond que moi-même.
Je vois, pour finir cette approche trop rapide, deux formes particulièrement intéressantes de l'obscène, d'une part dans le désir effréné d'assister à sa propre conception, donc à la "scène primitive" où nos parents nous ont conçu dans l'amour ou la haine, et, après la mort, de se représenter son propre cadavre, avec la scène familière des pleurs et des gémissements qui accompagneront ma mise en bière. Dans les deux cas nous rencontrons un impossible : impossible de voir la "scène primitive" puisque je n'étais pas né et que je ne pouvais rien voir, sauf à remonter le temps. Ce que je vais fantasmer est toujours un succédané de l'impossible. Et pour ce qui est de la mort j'invente un moi fantasmatique bien vivant supposé assister à mes propres obsèques. Nous avons là deux blancs dans la représentation, deux énigmes sans solutuon, que le fantasme viendra boucher avec ses constructions plus ou moins déirantes. Deux trous noirs si l'on préfère, et ici blanc ou noir cela revient au même! Peut-être tenons nous là quelque vérité sur l'obscène. La fascination trouble de l'obscène vient de ce qu'il s'essaie à représenter l'irreprésentable, dans un invraisemblable défi lancé à l'impossible.
Ajoutons enfin, pour faire bonne mesure, que c'est par là que la question de l'obscène se rencontre à celle de l'inceste. Il s'agit bien de franchir des limites sacrées où l'énigme du sexe cohabite avec celle de la mort.
"La nature aime à se cacher" disait Héraclite. Isis ne se présente jamais sans voiles. Voile et viol, quel rapprochement significatif! Eh bien soyons gentlemen, et laissons à nos femmes leurs parures exquises et leurs petits ou grands secrets!