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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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9 juin 2008

DE LA CHOSE

Dans un tableau célèbre du XVIII, de Greuze si je me souviens bien, on peut voire une jeune fille en pleurs tenant dans sa main un petit oiseau mort. "Non, vous dis-je, s'écrie Diderot dans son commentaire, ce n'est pas l'oiseau mort que pleure cette jeune fille!" Je pense que Diderot a raison. Mais alors que pleure-t-elle? Ou qui pleure-t-elle, si nous faisons comme Freud parlant fort logiquement des "objets d'amour", même à propos de personnes vivantes. Que pleure cette jouvencelle? Bien sûr on peut estimer, en première lecture, qu'elle pleure son oiseau. Et cet oiseau n'est pas n'importe quoi, c'est un animal cher qu'elle a nourri, caressé, auquel elle a parlé et qui lui a peut-être été d'un grand réconfort. En un sens c'est une partie du moi, dont le deuil devra commencer. Un freudien s'empressera, comme le fit Freud lui-même, d'observer que le petit oiseau évoque irrésistiblement le pénis ( en allemand "vogel" veut dire oiseau et "vogeln" évoque l'activité érotique ; en français on parle volontiers du petit oiseau au sujet du garçon). Première interprétation: la jeune fille pleure un pénis qu'elle n'a pas, qu'elle avait sans doute dans l'imaginaire, ne serait-ce que sous les espèces d'un clitoris qui s'obstine à ne pas grandir. Donc il s'agirait de la prise de conscience de la différence anatomique des genres avec sentiment de perte irrécupérable. Cette version est confortée par d'innombrables contes enfantins qui présentent des scènes de castration féminine sous les oripeaux d'objets divers, ou d'animaux.

Soit. Mais l'explication est un peu courte. Pourquoi privilégier cette lecture-là quand d'autres sont possibles? On pourrait par exemple évoquer Winnicott et sa célèbre thèse sur l'objet transitionnel, ce nounours adoré que l'enfant traîne partout avec lui, ce bout de chiffon souvent crasseux qu'il s'obstine à sucer contre la volonté maternelle, et pourquoi pas, ces premiers animaux familiers, bien réels et vivants, mais qu'il considère un peu comme des parties de son propres corps, à la fois dehors et dedans, "objets" à la fois externes et internes, support de projections imaginaires, hésitant entre la sphère narcissique et la sphère objectale. Si j'interroge ma propre expérience je dois reconnaître que cet objet transitionnel est resté longtemps présent dans ma vie psychique, et je me demande quelquefois si j'y ai vraiment renoncé). Comprenons bien le sens de "transitionnel" : objet d'attachement sécurisant, réconfortant, qu'on trâine avec soi pour pouvoir aborder les risques de la vie externe, comme un trait d'union facilitant le passage du dedans (maternel) vers le dehors. Sans son petit oiseau notre jeune fille se sent insécurisée dans un monde inconnu, sans repères et sans objets d'attachement immédiat. On voit déjà pointer ici une certaine dimension symbolique, à côté de l'investissement imaginaire, car enfin l'objet n'a guère de valeur en soin, il n'est que le tenant-lieu, le représentant chosique d'une démarche de traversée difficile, et, en poussant un peu, un pré-signifiant de la présence de l'absent(e). Nous voilà déjà bien loin de l'interprétation directement sexuelle, et avouons-le, un peu courte : un garçon pleurant l'oiseau mort n'aurait jamais évoqué la perte du sacro-saint pénis, tout en relevant évidemment de cette seconde version des faits.

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