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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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2 juin 2007

voluptas (suite)

la psychanalyse. On peut penser à Freud qui a découvert dans le moi une instance primitive de libido inépuisable. Celle-ci se concentre dans un noyau résistant: le Ich-lust( moi-plaisir) qui gouverne nos aspirations intimes: "je suis tout, je suis le tout, tout m'est dû, je suis le souverain absolu". Plus tard le sujet découvre dans la réalite une force de résistance source de privation et de frustration (ex le lait ne vient pas aussitôt que je pleure, il faut apprendre à attendre). L'objet extérieur de satisfaction peut manquer. En fait le sujet découvre l'alternance fondamentale de la présence et de l'absence  (Fort -Da), du plaisir et du déplaisir, de la faim et de la satiété, dans une dépendance à l'Autre qui a quelque chose de tyrannique et de blessant pour le jeune narcissisme. Le principe de réalité se constitue dans la douleur et vient limiter les exigences exorbitantes du sujet (Sa Majesté le bébé). Ce moment est crucial pour la maturation, car il n'est pas question pour les parents de satisfaire à toutes les demandes, sous peine de perdre toute autorité et de favoriser le développement d'un petit monstre. Trois éléments donc : le Lust-ich et principe de plaisir ; le moi-réalité et le principe de réalité ; La dialectique du Moi en demande et de l'Autre, avec sa propre demande et son propre désir, inconnaissable au sujet. Ainsi s'esquisse une problématique où la satisfaction n'est jamais totale, toujours marquée de la limite (Epicure), de la peur de manquer (Lucrèce et le tonneau des Danaïdes), où la pulsion entoure l'objet de ses filets(fantasmes) sans parvenir à le posséder jamais de manière complètement satisfaisante. "Errare humanum est", d'où un errement, une errance du désir, un perpétuel "je ne sais quoi" qui fait défaut, entretenant une sorte d'angoisse du manque (parfois du trop, comme face aux mères étpouffantes) qui corrompt en partie le plaisir de vivre. On peut ajouter que si l'animal se contente de satisfaire ses besoins et y goûte un plaisir sans mélange, nous, "nous ne goûtons jamais rien de pur" (Montaigne) et notre plaisir est en fait corrompu par le désir. Epicure est très fort: il a remarqué que nos désirs se nourrissent indéfiniment de rêves vagues, d'aspirations imaginaires, de nostalgie, d'illusions irréalisables: désir d'immortalité, de gloire, de reconnaissance, d'amour absolu, bref de toutes les passions, qui se résument en fait à des "opinions creuses".

" Je  ne sais quelle amertume

jusque dans le calice des fleurs"

Tout cela peut paraître sévère, et l'on comprend parfois difficilement pourquoi l'épicurisme, si austère dans la pratique, a pu faire l'objet de tant de haine et de persécution. La raison en est ailleurs

Ni Providence, ni immortalité de l'âme, ni Tout signifiant, ni Destin, ni salut. Il y a chez Epicure un tranquille amoralisme, qui fit scandale. Le plaisir est bon en soi. Les voluptueux et autres débauchés n'ont rien à se reprocher, sur le plan moral par exemple, si ce n'est de se tromper sur la nature du plaisir : ils cherchent l'illimité dans le limité, et ainsi perdent-ils leur santé et finalement la vie. De même le criminel qui ne sait pas se limiter est en erreur plutôt qu'en faute: erreur de jugement;: le crime ne paie pas et entretient une sourde angoisse qui ne s'apaise jamais.( Mythe de Sisyphe). La vertu est en fin de compte un calcul utilitaire, et à ce titre source d'une autre sorte de plaisir: le vertueux est vertueux par souci du plaisir! Parce qu'il aime ses amis et le reconfort qu'ils apportent, parce qu'il aime la sécurité et la liberté. Parce que la sagesse donne finalement plus de joie que l'intempérance. Parce que la plupart des plaisirs "sociaux" sont frelatés, conventionnels et décevants. Le sage sera son propre créateur. Fierté du sage: ce qu'il possède n'est rien que lui-même. Liberté de celui qui sait ses vrais besoins, ses vrais désirs et qui ne sacrifie ni à la mode ni à la convention. Humilité du sage qui se sait mortel, n'aspire pas à l'immortalité, n'envie pas les dieux, se tient à l'écart de la cour et des "affaires", et pour finir vit "comme" un dieu immortel, pourvu de biens immortels. Le vrai dieu n'est autre que le sage épicurien en personne.

Et la volupté dans tout cela? Aucune moraline, aucun préjugé. Les anciennes prostituées vivaient avec les philosophes du Jardin, dans une aimable accointance. J'imaginerais aisément Sappho en hétaïre épicurienne. Qui ne connaît le mythe rabelaisien de l'Abbaye de Thélème et son fameux frontispice "fais ce que voudras"? Si Epicure inspire tant les Libertins, ce n'est pas en raison d'une libido débridée et sauvage (la fameuse voluptas vagivulga de Lucrèce) mais en raison d'un amoralisme paisible, innocent, moins paillard que jovial, allègre et non compulsif. C'est bien à tort que d'aucuns se croient épicuriens de nos jours sous le fallacieux prétexte qu'ils hantent les clubs échangistes et autres follâtreries. Si cela leur réussit, rien à dire. Mais si cela entretient une soif inextinguible, une fureur de "tentatives effrénées", la rage de réaliser le fantasme ils se trompent: le fantasme se nourrit indéfiniment de ses cendres, le désir de déplace à l'infini, l'objet est toujours plus imaginaire que réel. Relire la mythologie grecque, mélange détonnant de criminalité, d'inceste, de meurtres, castrations sanglantes, équarrissages et autres joyeusetés. La mythologie est en fait plus "vraie", sur le plan psychique, que toutes les constructions bancales des rationalistes.

Vive la volupté donc. Qui n'est pas forcément le coït, l'orgasme, la jouissance sadomasochiste, qui n'est pas spécifiquement sexuelle, mais qui devrait devenir une sorte d'éthique du plaisir.

Faut-il cultiver le désir ou le plaisir. Ils ne sont pas toujours opposés, mais pour notre malheur ils le sont très souvent. Et c'est alors qu'il faut faire exercice de philosophie. GK

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