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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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22 février 2013

Du FONDEMENT, méditation

 

 

 

Ante Scriptum : Spinoza demandait que l'on méditât la vie et non la mort. L'intention en est belle, mais comment séparer ce qui est joint en nature et nécessité? Cher Lecteur, si le propos de méditer cela te rebutte, passe outre gaillardement. Tu trouveras en d'autres textes de quoi alimenter ton goût de vivre.

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Lorsque la mort vous frôle de son aile noire - accident, maladie grave, opération chirurgicale, décès d'un proche et autres occurrences funestes - il se produit un basculement extraordinaire qui emporte toutes vos précédentes certitudes, fait éclater vos opinions les plus chères, et ruine vos anciens attachements. Que reste-t-il de vos ambitions d'hier, de vos projets, que devient ce sentiment si familier des choses familères, que devient la confiance spontanée qui vous attache à la vie, à la perpétuation de la vie? Tout, soudain, devient étrange, presque inquiétant, menaçant même : nous croyions connaître les choses, nous imaginions pouvoir compter sur une paisible répétition, et voilà que les choses dressent une arête d'étrangeté entre elles et nous, une pointe d'hostilité incompréhensible, comme si soudain nous étions chassés de notre propre monde. Et c'est le corps, le corps douloureux, le corps indocile qui nous ramène à lui, à lui seul, et le voilà qui occupe tout l'espace, mange toute la pensée, la ramenant violemment au souci misérable d'une chair blessée. Ah qu'il est terrible de n'être plus qu'un corps, de n'être que la perception aiguë d'un corps, réduit à la présence omniprésente d'un corps qui plus que jamais est votre propre corps.

Que reste-t-il quand tout se défait, opinions, croyances, valeurs, sentiments, et que la perception elle-même s'en va de son côté, échappant à tout contrôle, comme prise de folie? 

On dira, assez sottement, il reste la vie : il faut bien être vivant pour éprouver tout cela. Certes, mais cela suffit-il à faire de la vie le fondement de valeur indiscutable? Il en est qui souhaitent mourir, qui se laissent tout doucement glisser dans le liceul, et adieu la compagnie. D'autres refusent de vivre dans l'esclavage, se précipitant sous le feu de l'ennemi. C'est assez dire que la vie en elle-même n'est pas forcément la valeur fondamentale. Encore une fois - que reste-t-il quand tout s'en va?

Se voyant partir en petits bouts Montaigne décide de se resserrer sur l'expérience du plaisir, de le faire d'autant plus conscient et aigu que sa durée est incertaine. Ce programme est alléchant, mais il suppose un minimum de santé, une capacité préservée de sentir et de goûter. Mais si le goût s'étiole, que la sensation s'amolisse, qu'une écoeurante fadeur emporte tout plaisir? La qualité du plaisir est liée à la qualité de la vie. Le second argument se raméne au premier.

Il reste l'attachement à nos proches, à nos amours, à nos amis, le souvenir de moments merveilleux, et rien ne peut faire que ce qui a été n'ait pas été. Rien ni personne ne peut nous enlever la grâce et la beauté que nous avons cultivée en nous et hors de nous. Cela reste, mais cela s'en va aussi, puisque nous nous en allons. Nous emportons avec nous le mystère de notre destinée, avec ses splendeurs et ses misères. D'une certaine manière nous mourons en rejoignant la source de tous nos amours, de tous nos désirs, nous fondant enfin dans l'origine absolue dont nous nous sommes momentanément détachés. La vie, dans son déclin, consomme la boucle fatale qui nous ramène au point de départ. "Du berceau à la tombe...". Les Trois Grâces : la mère, l'épouse, la mort, pour finir n'en font qu'une, comme les Trois Fileuses de la mythologie.

Une immense nostalgie peut nous saisir en ces instants de méditation : n'ai-je vécu que pour me séparer sans cesse de ce que j'aime, le ciel d'enfance, les enjouements d'adolescent, les fièvres poétiques, le plaisir de la saine activité d'adulte, la sérénité de la pensée, les saisons qui vont et viennent, la nature étoilée, et les amis, et tout ce qui est beau et riche de par le monde? Vivre n'est-il qu'une perpétuelle déchirure, qu'un inévitable étiolement, qu'une course à rebours, dont le terme se confond avec le début, une boucle qui semble indéfiniment ouverte, dans les premières années, et qui se referme lentement, inéluctablement, vous enserrant à la fin dans son étreinte de fer? Comment imaginer un instant qu'il y ait une quelconque logique à cette mascarade, une finalité, une raison supérieure, ou tout simplement une utilité? Les dévots de tout poil vont nous chercher quelque obscure transcendance pour y accrocher une raison de vivre, une justification, un idéal, mais qu'est-ce là si ce n'est illusion, illusion encore et toujours, rage de sens et désespoir? Je les envierais presque, si je ne les trouvais pitoyables!

C'est à cette aune qu'il faut mesurer toutes les augustes leçons de la philosophie, et faire le tri entre farcissures et vérité. Combien de baudruches savantes qui explosent, et combien de sentences qui sonnent vrai? Que reste-t-il à l'heure grave des ultimes décisions? 

De ma vie il ne restera manifestement pas grand chose, quelques mois à vivre, peut-être, si j'en réchappe encore une fois. Dans quelques jours, si je vais mieux, j'oublierai ces graves pensers, mais pas tout à fait, car ce qui est pensé ici ne peut s'effacer complètement. Et dans quelques mois je les retrouverai forcément, avec une acuité nouvelle. Disons qu'au fil du temps les racines de la croyance se font plus rachitiques, elles cèdent plus volontiers devant l'acuité des faits. Cela vous éloigne d'autant du monde ordinaire des vivants et de ses discours de parade. Vous vous resserrez sur l'essentiel. Mais lequel? Juste cette idée invincible que si votre propre vie est quasi finie elle suffit encore à sentir le fondement naturel, universel, qui, lui, ne vient ni ne part, et qui nous recueillera.

 

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Commentaires
G
Chère lectrice,<br /> <br /> Vous me posez une question redoutable. Je ne puis y répondre qu'en termes personnels et subjectifs. Disons que je refuse d'emblée les voies de la religion pour m'en tenir à l'expérience et à l'observation. Je ne connais pas suffisamment la philosophie du Yoga pour en juger. Je cherche le fondement à partir de l'expérience vécue. Peut-être mon dernier article (du fondement 4) vous donnera-t-il quelques éléments de réponse. Il propose une voie empirique et profane d'expérimentation.
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A
Cher Guy,<br /> <br /> Je mesure un peu plus en lisant ces lignes la chance que j'ai de pouvoir prendre le temps de penser à la vie, une parenthèse de 2 ans sans urgence, en pleine forme, en Inde, à la source du Yoga. Philosophie du yoga dont je m'abreuve sans savoir encore l'éprouver, l'expérimenter. Sans doute me faudra t il à mon tour affronter l'adversité pour en mesurer la portée.<br /> <br /> Patenjali dit que cette universalité intemporelle et immuable existe, elle est en nous, elle est plénitude et bonheur, mais il dit aussi qu'il est possible de l'atteindre, ou au moins de l'approcher durant la vie grâce à la pratique du yoga. Pensez vous qu'il s'agisse là du discours "de dévots en quête de justification"? Bien sûr on a envie d'y croire. Si vous en avez l’énergie en ces temps de combat personnel, pourriez vous me donner votre avis éclairé de philosophe sur ce point? Dans tout les cas un grand merci pour votre blog que je découvre et qui est passionnant.
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G
Ce témoignage, chère Sibylle, est admirable de vérité et de simplicité, il impose le respect, et le silence. C'est dans ces heures sombres que chacun fait l'expérience de sa propre vérité intime, de ses capacités de résistance, de son désir de vivre ou de ne pas vivre. Là nous sommes dans des zones où le langage trouve sa limite. Ce qui ne signifie pas qu'il soit inutile, simplement il réfère à quelque chose d'autre, qui l'excède de toutes parts. Merci encore pour ce moment de vérité.
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S
Instants de vie :<br /> <br /> <br /> <br /> Merci cher ami pour ce texte aux mille éclats de vérité, mieux d’authenticité. Il existe des douleurs qui sont au-delà du supportable, qui vous accablent, vous torturent au plus profond de votre chair. A cet instant, un seul souhait vous taraude, le désir urgent d’avoir juste un peu moins mal, oui un peu moins mal. Le corps lutte plus qu’il ne peut, l’esprit est las et s’épuise dans ce combat de titan. <br /> <br /> Pour autant, personne ne peut vous aider, c’est inutile, infirmiers et médecins « bricoleurs » du vivant ont fait « leur travail » vous disent-ils. Vous êtes alors le seul capitaine du navire et il vous faut tenter de maintenir la ligne de flottaison.<br /> <br /> Avoir mal à désirer mourir, à désirer lâcher prise est une expérience surhumaine, inhumaine et il faut peu de choses pour renoncer. <br /> <br /> Je me souviens..<br /> <br /> L’hôpital, deuxième séjour consécutif, nouvelle intervention, le cœur est fatigué, je ne peux ni parler, ni manger, ni dormir, une seule compagne jour et nuit cette douleur extrêmement vive, permanente qui me harcèle. Ma maigreur empêche toute administration de calmants, le cœur est trop faible. Prise de tension toutes les demi-heures, l’infirmier me sourit, il me tient la main, « je sais que vous avez très mal mais voyons, d’aussi jolis yeux ne peuvent pas pleurer, non c’est impossible, accrochez vous ! <br /> <br /> Il regarde un livre posé sur mon chevet « Hannah Arendt et les origines du totalitarisme », « Qui est-ce » me demande t-il ? <br /> <br /> Je regarde le portrait de l’écrivaine en page de couverture, je viens de terminer l’ouvrage, le contenu est redoutable, ces gens se sont battus face à ce que d’aucuns appellent le mal radical, absolu. Cette souffrance était au-delà du pardon et de l’oubli. Que pouvais-je lui dire ?<br /> <br /> Je prends alors mon cahier pour répondre à l’infirmier : Qui est ce ? Une femme remarquable juste exceptionnelle. Je regarde par la fenêtre, un rayon de soleil pointe dans ce ciel chargé.<br /> <br /> Je ferme mes yeux et je me promets que j’irai au bout de ma maitrise, parce que j’irai au bout de ma douleur et de moi même aussi. Hannah me donnera le courage, elle me portera, comme je la porterai dans mon cœur.<br /> <br /> Dans tous les cas, le combat n’est jamais fini, et ce pour personne, seule sa graduation nous sépare les uns des autres. Alors cher ami, si l’accalmie se présente, aussi petite soit-elle, vivez là pleinement sans concession aucune. Certains philosophes vivent jusqu’à 104 ans, ils doivent user d’une pharmacopée dont seuls ils ont le secret, sur ce sujet, je sais pouvoir vous faire confiance , comprenne qui voudra !<br /> <br /> <br /> <br /> Bien à vous, amitiés sincères.
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A
Quelle belle réflexion sur les angoisses de la maladie qui nous impose l'écoute de notre corps et....
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