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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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3 juillet 2008

ISONOMIE : de l 'EQUILIBRE GLOBAL

Tout un chacun se croit rapidement quitte avec la pensée D'Epicure, la croyant facile et somme toute assez banale. Il n'en est rien. J'estime, quant à moi, que c'est l'une des plus subtiles et des plus difficiles. On se laisse égarer par la simplicité des formulations et des sentences, on croit avoir compris, et il n'en est rien. En fait cette doctrine, et son intuition centrale, ne cessent, comme  le refoulé, de faire retour dans les interrogations les plus serrées et les ardues. Pour s'en convaincre il suffit de reprendre attentivement la Lettre à Hérodote où Epicure expose sa physique avec une clarté et une densité incomparables.

Je reviens ici sur une notion capitale, assez négligée par beaucoup de lecteurs.

Isonomie : loi de l'équilibre général. Qu'est-ce à dire? Pour comprendre il faut rappeler quelques données  fondamentales. L'univers est le Tout. Rien en dehors de ce Tout, infini dans le temps et l'espace. Ce Tout comprend un nombre infini de "mondes" comme le nôtre, plus ou moins étendus, et comme tout corps, soumis aux lois de l'apparition et de la disparition. Des formes naissent par combinaison, durent un temps, et disparaissent par décomposition. Il faut clairement opposer le Tout infini et éternel, aux corps constitués, mortels, issus de l'agrégation de ces particules élémentaires qu' Epicure nomme "atomes "( = insécables). En toute rigueur les atomes sont éternels comme le vide dans le quel ils voyagent à l'infini. De vraiment réel n'existent que les atomes et le vide, dont la somme inpensable et irreprésentable constitue le Tout éternel. Les corps constitués sont des agrégats, conglomérats, combinaisons aléatoires et périssables.  Donc deux régimes bien différents : éternité des atomes, du vide et du Tout, sans origine et sans fin. Naissance aléatoire, durée relative, décomposition des corps, retour à l'élémentaire par dispersion, destruction, usure et érosion des corps. Au total rien ne se perd, rien ne se crée. Il faut, par cohérence intellectuelle, spéculative et intuitive, penser le Tout comme constant dans sa masse, son volume, son infinité enfin, sans quoi, comme le montre notre auteur, la somme globale se serait défaite depuis longtemps, ou serait en train de se défaire, ce qui ramènerait l'univers au néant. Inversement on ne peut penser une origine : de quelle Bouche d'Ombre, de quelle caverne, de quel Chaos émergerait cet univers, comme un deus ex machina? C'est là le risque suprême assumé par la pensée matérialiste : penser l'univers comme non créé, non né, non conçu ou fabriqué par une quelconque puissance surnaturelle. Dans la Physis infinie tout est physique, atome, corps, ou vide. Rien d'autre ne se peut penser sans contradiction, ou délire mythologique . (On songe inévitablement aux spéculations légendaires des poètes Homère et Hésiode qui font naître notre monde d'un décret, d'une intention, d'une origine fabuleuse à partir d'un immense trou originel, sans que l'on puisse comprendre jamais le comment et le pourquoi). Etre idéaliste c'est se réclamer d'un volonté, d'une intention cosmique, d'une raison universelle, d'un Logos tout puissant, cause et destination du monde. Etre matérialiste c'est assumer l'énigme d'une absence d'origine et de fin et de finalité, donc se connaître totalement ignorant face à ce mystère absolu d'une réalité sans cause, autosuffisante, éternelle et infinie dans tous les sens. In-signifiance d'un univers qui "est" sans cause ni raison, sans début et sans fin, et dont chacun de nous est une parcelle infinitésimale, mortelle comme tout corps, éternelle au niveau des composants atomiques.

L'isonomie désigne donc cette réalité globale d'un univers qui, DANS SA GLOBALITE, est toujours identique à soi, sans augmentation ni diminution puisqu'il est le Tout alors que, au niveau des compositions atomiques, règne le plus grand hasard pensable : tel monde se constitue par accumulation de matière, au détriment de tel autre qui éclate sous le feu des galaxies environnantes, tel monde naît, tel monde meurt, ici c'est la disette et la famine, là c'est l'opulence d'une nature généreuse, ici le désert, là des plaines fécondes. Ici des animaux à cornes, à serres, à ongles, à nageoires, à bec et queue, là de hideux monstres marins et sousmarins, ici la sauvagerie, la discorde, la haine et la guerre, là bas la douce paix du jardin et la plus fine culture que l'on puisse imaginer. C'est que la loi d'isonomie ne concerne pas seulement les astres, constellations et immensités galactiques. Elle se vérifie aussi au niveau des vivants, végétaux, animaux, et peut-être ailleurs, dans des mondes lointains, sous d'autres formes à nous inconnues. La vie de l'un est la mort de l'autre. Des formes naissent, d'autres les détruisent pour disparaître à leur tour. Inutile de rêver d'une immortalité de notre monde, ni de notre humanité. Rien n'empêche de penser que des milliers de mondes comparables au nôtre aient déjà sombré de par le passé. Et puis, que signifie passé, présent et avenir dans le régime de l'éternité de l'Aïon?

Isonomie absolue du Tout. Isonomie absolue de l'éternelle Physis, isonomie relative des êtres vivants et des sociétés, animales ou humaines. Dans le mouvement universel tel corps qui se constitue par agglomération, déclinaison (clinamen) d'atomes, se régule par lui-même selon une loi d'autoconservation relative, cette liaison "vénérienne" dont parlera Lucrèce : entendons : la déclinaison des atomes produit des chocs microscopiques, entraînant des cascades de chocs, heurts et accrocs, source de nouvelles combinaisons, imprévisibles puisque la forme complexe naît de la combinaison aléatoire des éléments simples (les atomes), mais qui tendent à se coaguler, fixer, aimanter quelque temps ("les contrats vénusiens"), avant d'être repris dans le tourbillon cosmique universel. On peut donc admettre que ces combinaisons éphémères n'en sont pas moins une forme d'isonomie, mais soumise au temps, et vouée à la décomposition. Telle société se crée et se développe, Athènes illumine le monde méditerrannéen des feux de se sa haute culture, la pensée d'Epicure règne par tout le monde habité, puis surgit la peste, les Barbares débarquent, les grands textes sont brûlés, le monde meurt dans l'attente d'une autre civilisation qui fera refleurir la culture, les arts et la pensée du Maître. Isonomie relative dans l'isonomie totale.

Que tirer de cela? L'isonomie est la loi du Tout, disons de l'univers dans son absolue et inconcevable totalité. Pour nous, les hommes, cela reste une figure grandiose et nécessaire de La Physis, nature éternelle. C'est sur fond d'éternité qu'il faut penser la vie, non comme vie individuelle, mais cosmique. Je survis, si l'on veut absolument survivre, dans le jeu tourbillonnaires des atomes. Soit. Mais au niveau de la vie empirique, rien ne protège de la mort, aussi certaine que la naissance. Rien n'assure la survie de la culture. Et plus encore : ce qui se fait ici n'est pas sans rapport avec ce qui apparaît là bas. La totalité nous échappe absolument. D'où les résolutions éthiques de l'épicurisme : n'attends pas que le monde s'améliore pour t'améliorer. N'atteds pas un quelconque progrès social pour être heureux aujourd'hui. N'attends rien des princes ni des puissants. Compte sur toi, invente ta vie. Et puis ceci encore : cache ta vie. N'expose pas nutilement tes talents et tes petites misères. Vis au Jardin, et si tu es seul par nécessité ou hasard, crée en toi-même ce jardin de félicité, qui témoigne, face à l'évanescence des choses de ce monde, d'un bel et noble effort de courage et de beauté. Ne compte ni sur la Destinée, ni sur la Fortune, ni sur la Chance, ni sur l'Etat, ni sur la Révolution, ni sur les princes, ni sur les dieux pour t'amender dans le sens de la vie heureuse. Seules la sagesse et l'amitié véritables sont des biens immortels dans un monde morteL.

PS  : "Ce qu'on gagne d'un côté on le perd de l'autre". Mais aussi, inversement : "ce qu'on perd d'un côté on le gagne de l'autre". Jamais de gain total, ni de perte absolue. Le tout est inaccessible, aussi bien dans l'ordre de la réalité que de la jouissance. Le plaisir donc est limité, comme la vie elle-même. C'est dans la finité du réel et la finitude de la vie physique et psychique, entre des limites précises et infrangibles, qu'il faut et qu'il suffit d'affirmer la vie heureuse. Rien à voir avec les morales de l'infinité, comme celles des religions monothéistes fondées sur la culpabilité, où le salut est indéfiniment éloigné et finalement inaccessible. C'est dans l'épicurisme que s'affirme le plus nettement, comme dans Pyrrhon, l'esprit de la sagesse grecque traditionnelle : "rien de trop'" - "pas plus ceci que cela".

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Commentaires
G
C'est la notion de limite (peras) qui donne à la pense d'Epicure son tranchant particulier. Il redoute les extravagances, les illuminations irrationnelles, les mythes et fabulations des poètes, nous invitant à nous resserer sur l'existence propre pour y trouver la voie juste. En ceci, encore un fois, il est étrangement proche de Bouddha qui refuse les délires sur l'univers, sans intérêt pour mettre fin à la souffrance. GK
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V
complexité du problème de l'univers, vu par la science actuelle :<br /> <br /> http://luth2.obspm.fr/~luminet/ScVieOrigine.html<br /> <br /> cette complexité ne rend, bien sûr, pas caduque la conclusion d'Epicure, <br /> mais, en regardant celle-ci de près, le "rien de trop" n'est pas tellement généralisable : même vivre d'eau et de pain, cela coûte et n'est pas toujours garanti, quant à l'amitié, elle ne court pas les rues...
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