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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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27 mars 2008

DE la CONTEMPLATION

Le sens premier de THEORIA c'est contemplation. C'est par excellence l'acte de voir, avec ici, une dimension d'étendue infinie, de sublime et de grandiose. On contemple l'immensité de la mer, l'immensité du ciel, les hauteurs et les profondeurs, tout ce qui dépasse le cadre un peu mesquin de nos perceptions ordinaires. La theoria s'apparente spontanément à l'infini, est en soi comme une prémonition de l'infini, que bien sûr nous ne pouvons pas voir, et dont la nostalgie habite l'âme du poète : l'Apeiron d'Anaximandre, le Tout de Démocrite, la somme des sommes de Lucrèce. Ni voir ni concevoir, si ce n'est en négatif, "ce qui n'aurait pas de bornes", et que nous pouvons cependant symboliser par une convention mathématique, ou un symbole mystique. Est-ce là une disposition spontanée de notre esprit? S'irriter de ce que toujours une montagne, un nuage, et la surface de la mer elle-même nous dérobe l'ouverture absolue, la vision instantanée du Tout? Implacable horizon! Tu es le symbole de notre condition, tu délimites ce qui pour nous reste à jamais, en dépit de la science, notre "réalité". Et nous avons beau étendre et étendre encore notre vision de l'univers, jamais nous n'atteignons de terme, ni dans l'espace ni dans le temps.

Je crois qu'il faut revenir à cette intuition fondamentale de l'infini pour saisir ce que la Theoria a de grandiose et de décevant. Sentiment esthétique du sublime ou de l'horreur, frisson physique de notre être limité devant le sans limites. Pascal y voyait une incitation à s'en remettre à l'impensable divin, mais sous cette forme assez mesquine d'un christianisme de pacotille et de terreur. Je préfère le sentiment grec de la nature infinie, du moins dans ces textes extraordinaires qui célèbrent la pluralité des mondes, l'infinité de l'espace et des atomes, l'inconcevabilité imaginative du Tout. Il ont eu aussi leurs théologiens et autres stoïciens pour rabattre l'infini sur une malheureuse petite sphère, excluant le vide hors du champ du réel. On en sourira aujourd'hui, comme en souriaient déjà les Atomistes antiques. Dans l'ensemble les Grecs avaient un sens remarquable de l'opposition irréductible entre l'immensité éternelle de la nature et de la nécessaire mesure ( "Rien de trop") qui devait fonder l'ordre des hommes. Les ordres étaient clairement tranchés, et nul n'était invité à explorer les ultimes mystères de l'univers. Ils ont eu pourtant leurs philosophes auxquels ils faisaient parfois des procès d'impiété, mais les trouvailles mêmes des "physiciens", comme Démocrite, n'altéraient point leur inébranlable sentiment du sacré impénétrable. La sagesse originelle liait le savoir au non-savoir. Ce pacte fit longtemps autorité. Quand la science prit sa définitive autonomie quelque chose se brisa dans l'harmonie du monde. On crut un temps que Dieu pouvait joindre les ordres et les transcender. On sait aujourd'hui que la chose est impossible, sauf sous la forme fantasque d'aimables fictions de scientifiques nostalgiques.

Le monde, ou plutôt notre vision du monde, est définitivement découpée en deux, voir en milliers de points de vue irréconciliables. Mais en gros il ya le discours de la science, qui fait autorité, et ce qui reste de cette antique capacité de contemplation qui n' a plus de lieu d'expression propre. Est-ce à dire qu'il faut y renoncer? Pas le moins du monde. J'admets sans difficulté les constructions de la science. Pour autant je n'y trouve pas mon compte. La sagesse est toujours en exigence de parturition. Elle se réfugie dans l'imaginaire, la science-fiction, le fantastique. C'est un peu dommage. Son lieu normal est la poésie, et son expression naturelle le poème philosophique ou la tragédie. C'est bien ce que Hölderlin avait compris, et Nietzsche après lui. Ils ont payé trop cher leur géniale intuition. Reste à souhaiter que les désastres à venir rendent indispensable cette nouvelle pensée qui accouchera peut-être d'une nouvelle THEORIA., mais de réconciliation cette fois, et non de barbarie planétaire. GK

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Commentaires
G
Merci, Myriam, de cette relance de commentaires qui en inspirera peut-être plusieurs autres à d'autres lecteurs. J' ai estimé qu'il fallait de temps en temps rafraîchir le blog. Je le ferai pour moi aussi. Que nul n' y voie autre chose, et surtout ni malveillance ni intolérance. GK<br /> Quant au danger, comment en négliger la tranche inflexible?
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M
"Là où il y a danger, croît aussi ce qui sauve..."<br /> <br /> Hölderlin, bien sûr...
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