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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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25 octobre 2023

LES DEUX HISTOIRES : SCHOPENHAUER

 

C'est l'ami Frédéric qui dans son blog a attiré notre attention sur la parution récente d'un opuscule de Schopenhauer "L'art de vieillir (Senilia)". Vous pensez bien que je me suis précipité chez mon libraire ! J'aimerais, à titre d'exemple, commenter ici un passage sur l'histoire - dont on sait que notre Arthur ne pensait aucun bien, dénonçant sans se lasser l'optimisme frauduleux d'un Hegel qui prétendait y lire le mouvement ascendant de l'Esprit - nouvelle théodicée laïque et rationaliste.

"Il existe deux histoires : l'histoire politique et l'histoire de l'art et de la littérature. La première est celle de la volonté, la seconde celle de l'intellect. Aussi la première est-elle toujours angoissante, voire terrifiante : la peur, la détresse, la tromperie et des tas de meurtres effroyables. La seconde, elle, est partout gaie et réjouissante - comme l'intellect qui n'a nul lien avec le monde - même lorsqu'elle dépeint des errements. L'histoire de la philosophie est sa branche principale"(Editions Rivages, page 90-91)

La volonté - le vouloir-vivre - est une force universelle, présente en tous les êtres, sans fondement, irrépressible, aveugle, absurde et souveraine, qui détermine cet acharnement insensé à vivre, envers et contre tout, selon la logique implacable de l'égoïsme et de la lutte. Le spectacle de l'histoire politique, avec ses massacres à grande échelle, en fournit une démonstration imparable. Celui qui a pu observer ce phénomène sur plusieurs décennies constate avec effarement qu'à chaque génération c'est le même scénario tragique qui se répète : la pièce est toujours la même, seuls changent les noms des protagonistes, hier Alexandre ou César, aujourd'hui Napoléon. La répétition stérile est la marque spécifique du vouloir-vivre dans l'histoire. L'histoire n'est pas une marche du progrès vers le bonheur, mais le charnier de l'échec et de la désolation.

Ces remarques dont il possible de se moquer, retrouvent pourtant, en nos temps troublés, une singulière actualité.

L'opposition entre la volonté et l'intellect est un théme majeur, récurrent et décisif pour Schopenhauer. Par l'intellect le sujet contemplatif se détache de la volonté, s'en libère, au moins pour un temps, dans la contemplation désinterressée, et, observant, apprend à percevoir les figures, les types, les formes au delà de l'apparence immédiate, accédant à un type supérieur de connaissance. Ici c'est l'art qui fournit le modèle : l'artiste peint des types généraux, représente les passions, met en scène la lutte de l'amour et de la haine, de la vie et de la mort. Le contemplateur, pour un temps, oublie sa misérable individualité, s'élève à la considération de l'universel, entrevoit l'essence des choses secrètes et y puise un plaisir désinteressé, un apaisement, une satisfaction, une gratification. S'il existe bien une histoire de l'art et de la littérature c'est en un sens purement chronologique : il est vrai que l'oeuvre de Léonard apparaît après celle de Giotto, Mozart après Lulli, mais cet enracinement temporel n'implique aucune supériorité artistique. L'excellence et la perfection dessinent une sorte de plateau horizontal où logeront, côte à côte, tous les artistes géniaux, de toutes les époques et de tous les styles. De ce point de vue il n'existe pas d'histoire de l'art : si les oeuvres sont dans le temps elles ne s'expliquent pas par leur position dans le temps.

L'art et la littérature sont la consolation au malheur d'exister. La philosophie leur est cousine, avec cette différence qu'elle ne se contente pas de contempler, mais qu'elle s'offre à fournir des remèdes qui certes ne seront jamais à la portée des masses mais qui soutiendront ceux qui privilégient la vie contemplative.

Encore un mot : Schopenhauer parle de l'histoire de l'art et de la littérature. Le lecteur qui connaît un peu l'auteur s'étonnera qu'il ne mentionne pas la science, qu'il avait pratiquée et louée en tant qu'elle permet une étude positive de la nature. Mais peut-être voit-il que la science moderne se met irrémédiablement au service de la politique par le biais des techniques appliquées à la maîtrise et à la domination, donc au service de la volonté. Nous y sommes, et dans une servitude infiniment plus dommageable que celle que vivaient les hommes du temps de Schopenhauer.

 

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