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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl

LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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25 avril 2025

NON SAVOIR et REEL : SCHOPENHAUER

 

Dans ses Manuscrits Posthumes, Schopenhauer écrit : "En vérité, tout ce que nous nous plaignons de ne pas savoir, ne peut sans doute pas être su". Et encore :

"Le substrat de tout cela, ce qui veut et connaît, ne nous est point accessible, nous n'avons vue que sur l'extérieur, à l'intérieur tout est obscur".

Schopenhauer est de ces penseurs qui ne se font pas d'illusions sur les pouvoirs de la connaissance rationnelle. Il n'a pas la naïveté de croire que par la raison discursive nous puissions parvenir au coeur de la réalité, puisque tout ce que nous saisissons par cette méthode c'est le monde de la représentation, toujours déjà conditionné par les catégories de l'intellect : espace, temps, causalité. Ces catégories, à leur tour, dépendent de la structure de notre cerveau, qui détermine la structure de l'intelligence. Le travail de l'analyse consiste, en dernier ressort, à circonscrire le plus exactement possible le domaine de l'inconnu, cette sorte de trou noir autour duquel nous gravitons sans pouvoir y pénétrer. Le résultat proprement dit du savoir est de situer et de circonscrire ce que nous ne savons pas, et ce n'est pas là pas un mince résultat, même s'il ne comble pas nos espérances. Savoir qu'on ne sait pas n'est pas une absence de savoir, mais un savoir savant, une "docte ignorance". Par là Schopenhauer se situe dans la lignée de Démocrite et de Pyrrhon, tous deux maîtres en humilité et sapience.

Mais la grande différence par rapport à ces maîtres vénérables c'est que Schopenhauer croit trouver par un autre chemin une "clef" qui ouvre l'accès à l'énigme - terme qu'il utilise souvent pour marquer le caractère "obscur", difficile de la voie de connaissance qu'il va suivre, et qui pourtant est la plus directe, la plus immédiate, bien que négligée, voire interdite, maudite par toute la tradition philosophique : l'intuition du corps propre, non du corps pensé, imaginé et représenté, mais du corps comme vouloir-vivre, volonté inconsciente, toute puissante, expression, en nous tous, de la volonté partout agissante dans l'immense et toute puissante nature : natura naturans. Et, franchissant un pas de plus dans le scandale, Schopenhauer affirme que l'essence de cette volonté, c'est dans la sexualité que nous la voyons le mieux agir, tourmenter, inspirer, dominer. Presque deux siècles avant Lacan, Schopenhauer, chasseur de réel, déclare implicitement que le réel c'est le sexuel !

Même Freud, qui doit tant à Schopenhauer, n'aura pas été à la hauteur de son inspirateur, car s'il reconnaît volontiers le primat de la sexualité sur l'intelligence, il n'aura jamais déclaré aussi clairement que le réel c'est le sexuel.

Mais Schopenhauer raisonne en philosophe, non en psychologue, même s'il est volontiers, dans ses analyses, infiniment plus fin et averti que la plupart de ses contemporains. Ce qui l'intéresse, c'est l'énigme du monde et de la vie, le Tout de la réalité, le réel en soi et pour soi. Si l'intelligence rationnelle est inapte à comprendre le monde, c'est par l'intuition directe du vouloir-vivre, en moi, dans l'autre, dans toute vie, et jusque dans l'inanimé, qu'il affirme avoir trouvé la clef qui ouvre l'accès à "la chose en soi" - ce mystère réservé que Kant déclarait inconnaissable, à jamais barré. Si la raison, et là Kant est dans le vrai, ne peut y accéder, il reste cette autre voie, que chacun peut emprunter, pour peu qu'il se détourne des méthodes ordinaires de l'explication causale, qu'il consente à revenir à l'examen direct de son propre corps sentant et voulant : il verra que le vouloir-vivre, dans son corps, ne relève nullement des injonctions intellectuelles, que ce vouloir (qu'il ne faut pas interpréter au sens habituel de volonté guidée par la raison) est antérieur, extérieur à toute intellection, puissance vitale immédiate, exigence et dynamisme, force active, irrationnelle, aveugle, quasi indomptable.

Renversement inouï : la philosophie n'est plus instruite par la raison, elle est conduite à l'écoute des leçons du corps.

Pour autant, Schopenhauer ne verse nullement dans une position dionysiaque. Cette dominance du corps est un scandale, une épreuve douloureuse, une humiliation, une tyrannie. Le vouloir-vivre est une sorte d'abomination, source intarissable de souffrance, répétition indéfinie des mêmes scénarios, des mêmes passions. Il n'est pas question de s'abandonner au fleuve de l'instinct déchaîné, à l'orgie dionysiaque, aux bacchanales du sexe et de la jouissance, répétition et amplification de la répétition. Non pas. Pour Schopenhauer le vouloir est un mal, c'est la source universelle de la souffrance, aussi opte-t-il pour la suppression du vouloir, au moins en théorie, car pour la pratique la chose est à peu près irréalisable. Arthur n'est pas un ascète, c'est un artiste qui rêve d'ascétisme, plaçant sur son bureau une statue de Bouddha, mais se gardant bien de vivre comme Bouddha. Il aura eu la sagesse de ne pas se tromper sur sa véritable nature intime, et en guise de négation du vouloir, il se contentera de pratiquer la noble voie de la contemplation. Contempler c'est cesser d'agir, c'est ne pas ajouter, par son action, au désordre du monde, c'est se retirer, du moins dans le temps de l'écriture et de la pratique musicale, dans une sorte de conscience supra individuelle, où les rumeurs s'éteignent, où le désir cesse de tourmenter, où le vouloir est suspendu. Moments délectables, qui font la joie de la vie, quand pour le reste, la vie est et demeure un enfer inhabitable.

Par delà une idiosyncrasie résolument mélancolique, la philosophie de Schopenhauer a le mérite insigne de désigner, pour la première fois, le lieu de vérité, qui, pour la pensée, est à la fois le nécessaire et l'impossible.

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24 avril 2025

"LA MORT N'EST RIEN PAR RAPPORT A NOUS" - Epicure -La citadelle sans murailles

 

Si l'on veut se faire une juste idée de la position épicurienne face à la mort il faut prendre ensemble deux propositions apparemment contraires mais qui sont comme les deux branches d'une pince :

"Face à la mort nous sommes tous une citadelle sans murailles".

"La mort n'est rien par rapport à nous, puisque, quand nous sommes, la mort n'est pas là, et quand la mort est là, nous ne sommes plus".

Il ne s'agit donc nullement de vivre en niant la réalité de la mort. Une lecture superficielle de la seconde phrase pourrait amener le lecteur à croire qu'Epicure opère une dénégation, "la mort n'est rien...". Bien au contraire, s'il rappelle le caractère mortel de l'homme, et plus généralement de toutes les productions de la nature, c'est pour marquer le sens de la mesure qui prévaut dans son éthique. Peut-être ceux qui se laissent emporter par l'hubris, la folie de l'ambition, du pouvoir et de la gloire, sont-ils victimes d'une illusion d'immortalité, tel Alexandre se faisant adorer comme un dieu. "Ou mallon" : pas plus que ce qu'autorise la condition mortelle.

Comment l'être mortel devrait-il se comporter, sachant la limite, face à la mort ? C'est le sens de la seconde phrase : une fois qu'on a intégré et digéré la vérité de sa propre mortalité, il est vain, ruineux, désastreux d'en faire une préoccupation obsessionnelle, comme si d'y penser sans cesse on pouvait lever l'échéance ou échapper au destin. Considérons plutôt les faits : la mort est une rupture absolue qui supprime la sensibilité, et par conséquent la douleur. Tant que je vis j'éprouve des sensations, des affects, je produis des images et des idées. Quand la mort est passée, comme un couperet, toutes ces affections et productions sont supprimées. Le sujet retourne au néant d'où il est sorti.

Remarquons bien que cette analyse porte sur le mourir, cet instant infinitésimal qui supprime la vie. Il n'est pas question du souffrir - qui est une marque du vivre : tant que l'on souffre on vit. Soulager la souffrance, ce qui est fort légitime, relève d'une autre approche. On se demandera si les personnes qui redoutent la mort ne craignent pas plutôt les douleurs de l'agonie. Si l'on calmait cette douleur, le mourir, peut-être, serait plus facile.

Mais ce qui empoisonne la vie c'est le souci de l'au de-là, la peur des châtiments infernaux qui font le pain béni de tous les empoisonneurs. Il faut donc couper court à toute fantasmagorie de la survie de l'âme. Voyez les faits : le corps se défait et périt. Or il n'existe pas de pensée, de représentation ou d'image qui ne supposent le substrat du corps. On dirait aujourd'hui : pas de pensée sans cerveau. La ruine du corps entraîne la ruine de l'"âme". Démonstration imparable, mais qui, hélas, ne découragera nullement le croyant de croire. Contre la rage de croire, la philosophie ne peut rien. Disons qu'à sa manière elle est un principe de sélection : elle renforce ceux qu'elle nourrit, elle écarte les autres.

Si l'on ne craint ni le mourir ni les chimères de l'après vie, il reste la condition mortelle dans sa vérité, ouverte sur le présent et l'avenir. Montaigne a raison lorsqu'il parle d'un "nonchaloir", d'une sorte d'indifférence placide à l'égard de sa mort à venir. Nous le savons, n'y pensons plus, et vivons !

J'en suis là. A l'aube de mes soixante-quinze ans, sachant bien que je suis mortel, et mortel au carré, assuré de rien, ni même de demain, j'en écris pour tester ma propre disposition philosophique, mon courage et ma lucidité. Ce cher Epicure, que j'ai découvert et aimé depuis mon adolescence, m'aura accompagné tout au long de ma vie, inspiré et soutenu. J'y vois une beauté, oui, une beauté qui se mêle à l'image d'une île au soleil, Samos assurément, où il naquit, patrie de la vigne et du vin. Peut-être saurai-je, moi aussi, atteindre sur le tard cette gaillarde sérénité qui égalise les choses, d'avoir compris qu'"il n'y a rien de redoutable dans la non-vie".

23 avril 2025

de la VACUITE, et de l'APEIRON

La vacuité s’entend par rapport à la représentation, et non absolument. Ce n’est en rien une position nihiliste. Tout le travail psychique et philosophique, ce long travail, exaltant et périlleux, de traversée des opinions, des constructions, des convictions  et autres élaborations de l’esprit, consiste, en dernière analyse, à affronter cette aporie de la vacuité. Nous en avons parfois l’intuition fulgurante au cours d’une promenade, au décours d’une conversation ou d’une méditation solitaire : soudain l’inanité de toutes nos croyances nous saute aux yeux, soudain nous sommes au seuil d’un vide sidéral, qui à la fois nous saisit de terreur et nous apparaît d’une évidence absolue. L’Ouvert est là, et comme dit le poète, nous comprenons soudain que nous ne sommes rien. Dans cet effarement, la vérité de l’abîme nous aspire, et nous contraint, pour vivre, à une modification radicale. Un monde s’écroule, et nous mêmes, pour un instant très bref, nous coulons avec lui. Les bouddhistes disent qu’il ne faut pas craindre cette noyade, au contraire, nous devrions accepter de couler sans résistance, car, de toute façon nous remonterons à la surface. Le monde et nous-mêmes, infailliblement se reconstruisent, mais peut-être, si l’expérience est profonde et sincère, d’une tout autre manière.

L’expérience de la vacuité est une déprise : ces oripeaux dérisoires auxquels s’accrochait notre esprit révèlent leur inénarrable caducité. Abolis bibelots d’inanité sonore. Ce monde que nous avions construit qu’est-il donc sinon le fruit de la peur et de la haine ? Haine cosmique entretenue par l’insatisfaction, le dépit, l’amertume, l’envie, la jalousie. Peur de n’être pas ceci ou cela, peur de déplaire, peur de n’être pas capable, peur du néant. Bouddha disait : « dukkha» , la souffrance, et dukkha résume toutes les passions tristes, nées de l’ignorance, de la haine et de la cupidité.

Que chacun redoute de faire cette expérience cruciale de la vacuité c’est l’évidence même. Mais avec un peu de sagacité on pourrait voir que cette expérience redoutée, assimilée à tort à un effondrement psychique, chacun, au fond la pressent, la souhaite confusément, craignant et brûlant de la connaître enfin. Pourquoi aller se brûler dans les passions destructrices si ce n’est par désir de l’illimité ? Ce que nous redoutons le plus est ce qui nous attire le plus. J’en conclus qu’au fond de chacun existe un attrait, refoulé ou assumé, pour le sublime de l’illimité. La vertu de courage c’est d’aller y voir.

Le bénéfice de l’opération c’est de voir la vacuité au cœur même de la psyché. Vivre c’est construire autour d’un trou. Mais ce trou dira-t-on, c’est quoi ? C’est l’insubstantialité de toute chose, c’est l’impermanence de tous les phénomènes, c’est le mouvement au cœur des choses, et de soi. C’est la conscience que tout passe et casse, et ne cesse pourtant de revenir sous de nouvelles formes. Comment, dès lors, s’accrocher encore ?

Et voici le paradoxe final, qui est peut-être le dernier mot de la philosophie : l’impermanence des choses et des êtres ne ramène pas au néant. Les choses existent, naissent et meurent et reviennent encore, à la fois semblables et absolument différentes. La nouveauté est la loi du monde, dans la permanence d’un fond sans fond qui jamais ne disparaît. Anaximandre nommait Apeiron cet illimité qui contient tout, qui fait tout, détruisant et fournissant sans répit, présence insondable et perpétuelle donation. Dans l’impermanence même nous pensons et sentons la permanence du Tout.

Etrange aventure que cette traversée de la vacuité. Elle détruit toutes les représentations, fait vaciller toutes nos certitudes, nous plonge dans l’effroi de l’origine, nous révèle l’impermanence cosmique, et dans cette impermanence même la permanence inépuisable de l’originaire.

Malgré la violence insigne de ce monde comment ne pas goûter, par instant du moins, à la suprême paix ?

22 avril 2025

PAR RAPPORT A NOUS, LA MORT

 

Je voudrais revenir encore sur la formule d'Epicure : "mèden pros hèmas einai ton thanaton" (Lettre à Ménécée, 124) : "la mort n'est rien par rapport à nous" - traduction de Marcel Conche - bien meilleure que l'habituelle : "la mort n'est rien pour nous", laquelle induit en sous-main une sorte de déni, laissant croire que la mort n'est pas, et que nous serions en quelque sorte dispensés de mourir. Dire "par rapport à nous" c'est mettre en avant le non rapport : la mort existe, c'est le fait massif qu'il n'est pas question de nier, mais elle existe comme ce moment qui supprime le sujet : quand survient le mourir le sujet disparaît, après quoi il n'y a plus rien : "car tout bien et tout mal est dans la sensation, or la mort est privation de sensation". La mort est la rupture absolue, et de fait on n'a jamais vu revenir un trépassé du fond de l'Hadès - si ce n'est dans les mythes ou les récits homériques, ce qui montre à l'évidence que la survie relève de l'imaginaire.

La démonstration d'Epicure est imparable. Et pourtant elle n'a jamais persuadé personne, en dehors de ceux qui, comme moi, étaient déjà persuadés, auxquels elle offre une élégante confirmation philosophique. Epicure se tient résolument sur le terrain de la perception empirique, il observe les faits, il voit que la mort est le lot commun - de ceux justement que l'on nomme "les mortels" (brotoi), il voit que la mort est toujours définitive, qu'elle n'est jamais suivie de résurrection. C'est la loi de nature, à laquelle l'homme est soumis à l'égal de tous les vivants. En des termes plus modernes on dira : la mort c'est la castration définitive, celle qui vient clore une longue série de castrations partielles, toutes celles qui ont peu ou prou cisaillé, entamé, délabré notre imaginaire unité principielle. Ce terme de castration est assez pénible à entendre, évoquant je ne sais quelle sordide opération barbare, mais il faut le comprendre sur le plan symbolique, en liaison avec la privation et la frustration. Se voir privé d'un plaisir est vécu comme frustration, douleur infligé au moi. On parlera de castration symbolique lorsque cette perte douloureuse s'inscrit dans la psyché comme savoir, lequel dès lors peut se travailler, s'intégrer : le symptôme (la douleur) se transcrit en symbole, initiant une nouvelle étape de l'existence. Dans le cours de sa vie le sujet consent plus ou moins à opérer ce travail de symbolisation, avançant d'étape en étape, au prix de remaniements laborieux ; à chaque étape il faut laisser quelque chose, consentir à de nouvelles pertes, en espérant, mais ce n'est pas sûr, trouver plus loin un nouvel équilibre et de nouvelles satisfactions. Un seul exemple qui vaut pour mille : on "enterre sa vie de garçon" - pensez donc, un enterrement ! On espère mieux dans le mariage, mais on laisse aussi derrière soi les facilités de la vie de garçon. (C'est une étrange équivalence : mariage = enterrement : qui perd gagne, mais aussi qui gagne perd !)

Montaigne, parlant de sa vieillesse, dit qu'il s'en va en petits bouts, perdant tantôt sa vigueur, tantôt l'usage d'un membre, et de la mémoire etc, si bien qu'à la fin il ne restera pas grand chose pour la mort. La vieillesse est privation, et frustration. Peut-on encore symboliser quoi que ce soit si l'énergie, et le plaisir, et le goût s'altèrent inéluctablement et que l'organisme, et la pensée s'en vont à vau l'eau ? Que valent donc tant d'efforts consentis, tant de projets, tant de travaux si c'est pour se retrouver grabataire ? C'est évidemment déplaisant, accablant, mais enfin cela nous prépare, un peu, à la rupture finale.

Epicure énonce la réalité brute : la mort est privation, destruction, annihilation. C'est la castration absolue. Ce discours parle à la raison, qui approuve, mais le sentiment, bien souvent, se rebiffe, comme il le faisait tant de fois lorsqu'il a fallu abandonner des satisfactions et des objets aimés. Et c'est ainsi que l'imaginaire s'en va construire des mythes de survie, inventer l'âme immortelle, peuplant l'au delà de formes fantomatiques ou angéliques, et pourquoi pas, de migrations et de transmigrations - à moins que, dans un déni fabuleux, elle ne déclare tout de go que le mort n'est pas mort ! L'imagination résiste à l'épreuve des faits, c'est sa loi, son charme et sa folie. Comme la mort propre n'est pas symbolisable - il faudrait avoir traversé la mort pour symboliser la mort - l'imagination se donne libre carrière, vraisemblablement selon la structure interne de l'inconscient qui refuse la mort.

En somme, selon moi, Epicure a raison, mais cette raison ne change pas grand chose au déni général qui prévaut dans la conscience des hommes, lesquels tiennent un double discours, approuvant en raison, contestant en imagination. Cette division interne est la plus universelle qui soit et l'on voit presque toujours le sentiment s'ériger et contester cela même qu'on prétendait approuver.

22 avril 2025

VARIATIONS SUR LE MAL : Schopenhauer

 

"Le grand problème ce n'est pas celui du bien, c'est celui du mal. Défiez vous des métaphysiques douceâtres. Une philosophie où l'on n'entend pas bruire, à travers les pages, les pleurs, les gémissements, les grincements de dents et le cliquetis formidable du meurtre réciproque et universel, n'est pas une philosophie". (Fragment d'un entretien entre Schopenhauer et Frédéric Morin - 1864).

Qui est visé ? Les optimistes au premier chef, les idolâtres du genre humain, ceux qui se bouchent les yeux et les oreilles pour ne pas voir ni entendre toute la douleur du monde, le long cri de la misère, du crime, de la guerre, le ravage "du meurtre réciproque et universel". Qu'est ce que le mal ? C'est la manifestation du vouloir-vivre présent en toute forme de vie, qui fait que chacun lutte avec acharnement pour se préserver, accroître sa puissance aux dépens du voisin, égoïsme natif et universel qui entraîne la lutte universelle de tous contre tous. Le mal est bien sûr une calamité morale, un fléau social et politique, mais bien plus radicalement une donnée indissociable de la vie elle même. La vie c'est le mal. Vivre c'est tuer ou être tué.

Plus radicalement :"Le seul bonheur c'est de n'être pas né". (Schopenhauer encore, dans un entretien avec Challemel-Lacour) - Remarquons la similitude de cette affirmation avec la stance du Silène dans Sophocle :

                    "Le mieux est de n'être pas né

                     Mais si tu l'es, retourne aussi vite que possible

                    Dans le lieu d'où tu vins !"

Bouddha disait : la vraie question, le vrai problème, celui qui ne supporte pas de délai, c'est la souffrance (dukkha). A chacun de voir si sa méthode permet de soigner et de guérir. Le propos de Schopenhauer est plus incisif encore : dans la vie on ne peut guérir de la vie, on peut tout au plus s'aménager des parenthèses de sérénité dans la contemplation artistique, ou dans la vision désintéressée des choses, combattre l'égoïsme par la pitié, ou, pour les plus résolus, opter pour l'ascétisme - mais en toute rigueur ce ne sont là que des expédients : "Le dévouement et le travail transformeront le mal, déplaceront la douleur, mais ils ne l'anéantiront pas. La fin du monde, voilà le salut ; préparer cette fin, voilà l'oeuvre du sage et la suprême utilité des existences ascétiques".

Si, définitivement, on ne parvient pas à rompre avec la logique douloureuse de la vie, il reste la solution ordinaire, celle qui fait quasiment l'unanimité : "plutôt souffrir que mourir, c'est la devise des hommes". Si tu veux vivre, accepte de souffrir, c'est tout un.

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21 avril 2025

DU SUJET PHILOSOPHE : SCHOPENHAUER

 

 

On oublie souvent qu'un philosophe, avant d'être un penseur, est un homme. Avec Schopenhauer le statut traditionnel du philosophe se met à chanceler. Lui-même n'a pas longtemps fréquenté l'université, et il s'est rebellé contre ses maîtres plus qu'il n'a appris d'eux. Son oeuvre principale est née d'une sorte d'inspiration divine, entre ses vingt-six et vingt-neuf ans. Par la suite il a vainement tenté de faire carrière comme enseignant. Son existence créatrice s'est déroulée dans la solitude et l'indifférence réciproque, jusqu'à l'époque tardive, où une gloire soudaine, massive, a consacré son travail. A tous points de vue Schopenhauer est un solitaire. Il sera le premier penseur chez lequel la subjectivité, assumée comme élément fondateur de la philosophie, occupera une place décisive dans la présentation des idées. S'il est un engagement schopenhauerien, c'est comme sujet de l'acte philosophique : l'homme est présent dans la pensée, plus encore, c'est à partir du corps propre, reconnu comme foyer originel du Vouloir, que s'édifie l'impressionnant édifice de la métaphysique schopenhauerienne.

Pour ma part je m'intéresse toujours à l'homme chez le philosophe. Je veux connaître sa biographie, son origine familiale, sa formation littéraire, ses goûts esthétiques et érotiques, ses penchants politiques, son mode de vie etc. Schopenhauer est, de ce point de vue, tout à fait fascinant, quelque opinion que l'on puisse se faire du personnage, désagréable à souhait, grincheux, caractériel, misanthrope et tout ce que l'on voudra. Je le lis à la fois comme poète, comme penseur et comme psychiatre : il est tout cela, et par là il ne cesse de m'intéresser et de me surprendre.

Pour comprendre le fond originel d'où sourd son inspiration il faut considérer deux éléments fort hétérogènes, qu'il a tenté de lier par la pensée spéculative, et qui travaillent chacun dans un sens opposé. D'une part une idiosyncrasie mélancolique : tristesse, dégoût, ennui, angoisse, anxiété, d'où provient le fameux pessimisme auquel on le réduit trop souvent, et qui lui inspire les pages les plus noires sur le destin, la répétition, la douleur du monde, la souffrance universelle. De là, évidemment, la thèse si originale sur le vouloir-vivre comme réalité  ultime, ou si l'on vent, comme "chose en soi". Mais il y a une autre source, issue d'une autre expérience, tout aussi fondamentale, inscrite dans la personnalité vivante de l'homme Schopenhauer, qu'il appelle "la conscience meilleure", où se défait l'oppression du souci et du désir, où s'apaise l'angoisse, où s'éteint la soif, où se tait le vouloir. Cela se produit lors d'échappées solitaires dans les montagnes - de sublimes pages sur l'altitude libératrice en témoignent - et surtout dans la contemplation esthétique, lors de lectures, de spectacles au théâtre, de concerts, et enfin dans l'activité philosophique, où la connaissance exerce la magie souveraine de la libération. Si l'on néglige cette seconde inspiration, on se condamne à ne rien comprendre à Schopenhauer, à considérer son esthétique comme une fantaisie sans contenu - alors que c'est le nerf, la dimension proprement créatrice de sa pensée. Les artistes, poètes et musiciens qui ont lu Schopenhauer ne s'y sont pas trompés et ont reconnu justement Schopenhauer comme un inspirateur de génie, le premier qui reconnaisse à l'art sa véritable dimension de création libre et autosuffisante, là où les philosophes, depuis Platon rabaissent l'art au rang de formation culturelle secondaire, voire dangereuse. 

La philosophie de Schopenhauer est essentiellement une esthétique.

J'aurais tendance à penser que si Schopenhauer n'avait pas pu accéder à cette expérience là, il aurait difficilement survécu. Toute son originalité tient au rapport entre les deux tendances : comment concilier la théorie du Vouloir avec l'expérience gratifiante et incontestable de la liberté esthétique ? Schopenhauer soutiendra d'une part l'universalité du vouloir, et de l'autre la négation du Vouloir, dont l'esthétique est l'expression cardinale. Au total la vie est possible si l'on peut à la fois vivre sa vie et la nier. Etrange solution dira-t-on, mais  pour lui c'était sans doute la seule possible. En tout cas c'est celle-là qu'il nous présente, dans un livre à la fois grave et lyrique, lequel enchantera les poètes et les artistes plus que les philosophes. 

Il y a une postérité de Schopenhauer, non certes une école, mais une sensibilité, un style, et c'est toujours, en dernier lieu, le style, au sens le plus ample, qui fait une philosophie.

21 avril 2025

AUTOPSIE de la MORT

 

             "La mort ne nous fait rien. Ce qui est décomposé ne sent point, et ce qui ne                                                 sent point ne nous fait rien". Epicure SV 2

 

 

Réduction analytique : dégrossir les représentations inspirées par la crainte - crainte des dieux, crainte de la mort - mais aussi des autres craintes plus diffuses, tapies dans le coeur des hommes. Mais de toutes ces craintes, la pire sans doute, la plus commune, est la crainte de la mort. La réduire, la supprimer si possible, tel est l'acte du philosophe, s'il est entendu que la sérénité, la jouissance de la vie sont à ce prix.

Crainte de la mort  : on s'imagine que la mort est un passage vers une autre vie, qu'il faudra mériter par des sacrifices, des expiations, des rituels de purification. On imagine un fleuve à traverser pour se présenter nu et propre sur l'autre rive. On redoute les juges infernaux, le purgatoire et les enfers. On invente une âme immatérielle et immortelle qui exige les plus grands soins, les plus grands renoncements. Et dans un mouvement d'exaspération théorique on en viendra à soutenir que la vraie vie est là-bas, dans cet ailleurs fantastique que nul n'a jamais vu et dont personne n'est jamais revenu.

La mort n'est pas un passage : un passant passe d'une rive à l'autre, il reste ce qu'il est, or, ici, s'il y a bien quelqu'un de ce côté de la rive, il n'y a personne de l'autre.

La mort n'est pas un passage mais une rupture. Alternative absolue : ou bien on est vivant, ou bien on est mort. Ou le vivant ou le cadavre, pas de tierce possibilité.

Remarquons que les mythes développent abondamment ce thème de la tierce position : lorsque Ulysse fait le voyage dans les enfers pour rencontrer les âmes de sa mère et des héros de la guerre de Troie, il voit de pauvres ombres gémissantes, exsangues et pantelantes qui disposent encore de la parole pour exprimer le regret des heureuses rives illuminées par le soleil. Vie racornie et malheureuse, intermédiaires pathétiques entre la vie et la mort. Plus justement : ils sont morts sans être morts. Je dirai : leur drame est justement de ne pouvoir enfin mourir.

Le vivant est respirant, sentant, réceptif et agissant. Le mort est privé de sensation, de mouvement, d'autonomie. Inerte et passif. Abandonné à l'inévitable travail interne de décomposition. Les deux états n'ont rien de commun. Il n'existe aucune continuité de l'un à l'autre. D'où cette remarquable parole d'Epicure : "La mort n'est rien par rapport à nous". Ou encore : "Quand nous sommes la mort n'est pas, quand la mort est nous ne sommes plus". Entre nous vivant et la mort il n'y a pas de rapport. La mauvaise interprétation serait de croire qu'Epicure nie la réalité de la mort et qu'il invite à vivre comme si la mort n'existait pas. Tout au contraire, il sait que la mort existe mais il insiste sur le fait qu'il ne faut pas vivre constamment sous le couperet de la mort, anticipant par une imagination déréglée une catastrophe qui viendrait corrompre le jeu innocent de la vie. 

Il ne faut pas mourir sa vie, se mortifier dans la crainte et la culpabilité.

Revenir aux sensations qui nous enracinent dans la présence du présent, c'est expérimenter une vie vivante, tant qu'elle est vivante. A partir des sensations on se forgera des représentations reliées à l'expérience en acte. On disposera d'une méthode qui permette de réduire, voire de supprimer les représentations issues de la crainte ou des autres passions de l'âme.

 

21 avril 2025

LIVRE TROIS ( BLANCHEUR MUETTE)

 

 

COMPLAINTE  DU  MELANCOLIQUE

 

                                                                                                I

 

 

                                                                Le ciel bleu m’agresse

                                                               Je n’aime que les nuages       

                                                              Tao de la désespérance

 

 

 

                                                                               2

                                                                                               

 

                                                       J’étais moi, j’étais tout l’univers

                                               J’étais le sein cosmique

                                               Je ne suis qu’une erreur

 

 

                                               J’étais tout, j’étais l’éternité   

                                               J’ai tout perdu

                                               Hors ma douleur.

 

 

                                                        3

 

 

                                    Rien ne mène à rien

                                                           Toujours

                                                           La roue tourne et retourne

                                                           L’avant, l’après, l’après, l’avant

                                                           Dans le néant

                                                         

 

                                                           Un seul et même cercle

                                                           Dans les deux sens

                                                           Tel est le temps

                                                  

 

                                                           Nous croyons avancer vers la mort

                                                           Mais la mort de toujours

                                                           Est déjà là

                                                           Blessure inhabitable

                                                           Gouffre creusé vif dans la chair

                                                          

                                                          

        Quand elle nous rattrape

                                                           L’ombre s’unit enfin

                                                           A la lumière.

                        

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

18 avril 2025

LE TRIBUNAL DES IDEAUX

 

Ce sont ici des variations de hasard sur quelques thèmes très simples, toujours les mêmes, avec des déplacements, des reprises, des circonvolutions, des essais et des ratages, comme font nos rêves : le rêveur est le personnage central de toutes ses fantaisies, alors même qu'il semble s'absenter. Le voilà représenté discrètement par un chapeau noir, un vélo, une maison sans toiture, et le plus souvent par un défaut, la pièce manquante ou le trou dans la structure.

Il est impossible de tout dire, si bien que ce qu'on dit est l'habillage de ce qu'on ne dit pas, et qui importe le plus. Mais l'écrivain est cet être bizarre qui ne se contente jamais, qui continue envers et contre tout, qui s'obstine, qui recommence. "Tant qu'il y aura du papier et de l'encre" : Tâche virtuellement infinie, à laquelle l'écrivain s'identifie et qui fait le sel de sa vie.

On peut aussi décider de s'arrêter, estimant que l'essentiel est d'avoir fait un bon bout de chemin, et que le reste échappe, échappera à jamais : c'est la part insondable que chacun emporte avec soi dans la tombe, qui ne concerne personne, pas même le sujet, qui aura tenté, et raté sa prise.

D'aucuns s'acharnent à construire une image qui perdurerait au delà de leur existence présente, tel Achille qui choisit, au rebours d'une vie paisible au milieu des siens, l'héroïsme, la mort et la gloire immortelle. Mais lui qui renonce au bonheur au cours de sa brève vie, jouira-t-il de la gloire après sa mort ? Pas du tout : Homère nous le présente, ombre exsangue, au pays d'Hadès, soupirant après les charmes perdus de la vie terrestre.

On veut se faire un nom, rester dans la mémoire des hommes, mais nous n'y serons plus. Que d'efforts, que de travaux pour une récompense dont on ne jouira jamais ! Une telle escroquerie n'est possible que par l'illusion que l'on vivra toujours, que l'on sera éternellement justifié par une sorte de tribunal post mortem qui pèse les âmes des défunts, tribunal fantastique et profane, version moderne du Grand Autre, mais qui, structurellement, serait toujours encore d'inspiration religieuse. C'est ainsi que le vieux Kant, par exemple, nous entretient d'une "République des volontés libres", qui n'existe nulle part, si ce n'est dans le cerveau surchauffé du philosophe.

Toute cette affaire, en somme, tourne autour de la question de l'idéal, et, plus précisément encore, de l'idéal du moi. C'est cette instance, si importante, si décisive, si aliénante aussi, qui crée la tension fatale entre ce que je suis et ce que je dois être. Et c'est forcément un autre qui a créé cette déchirure par ses injonctions, obligations et interdictions : dès lors je ne puis me contenter de ce que suis, je me mets à souffrir de mon insuffisance, et je m'efforce de rejoindre cette image - selon le point de vue de l'autre, image de l'autre, et dès lors c'en est fait de ma nature propre, de mes tendances innées. Me voilà malheureux. "Je n'y arriverai jamais". C'est ainsi que s'édifie ce tribunal de la raison, ou de la moralité, dont la figure redoutable, intériorisée, va se muer en tribunal impersonnel, où je ne reconnais plus les figures tutélaires qui ont déclenché tout le processus.

Le tribunal sévit dès cette vie, mais il s'hypostasie dans un temps sans mesure, aux dimensions de l'éternité. C'est ce que l'épicurisme avait bien perçu. "Toi qui vis pour demain..."

C'est là l'histoire individuelle, mais c'est aussi l'histoire de la civilisation : l'homme est cet animal pensant qui vit en se rapportant à l'autre, et aux autres morts autant qu'aux autres vivants. Mais le vrai problème surgit lorsque le sujet croit devoir vivre "pour" - pour la famille, la nation, la gloire, la société sans classe, et tout ce que l'on voudra. Ne peut-on vivre tout simplement, sans idéaux excessifs, sans projet pharaonique, sans souci de l'immortalité ? Vivre, juste vivre ? Gageons que cette idée si simple est la plus difficile.

18 avril 2025

La MEDECINE de LUCRECE

Quand les médecins veulent donner aux enfants

L'absinthe répugnante, auparavant ils enduisent

Les bords de la coupe d'un miel doux et blond

Pour que cet âge étourdi, tout au plaisir des lèvres,

Avale en même temps l'amère gorgée d'absinthe

Et loin d'être  perdue par cette duperie,

Se recrée au contraire une bonne santé". (Lucrèce, De natura rerum, IV, 6 à 12 ; trad Kany-Turpin).

 

     La préoccupation thérapeutique est au coeur de l'épicurisme, elle en constitue la raison d'être : philosopher pour diagnostiquer le mal, en établir les causes, et le guérir. Mais Lucrèce est aussi redevable à Empédocle, et de la forme même du poème philosophique, et du projet médical. Empédocle était guérisseur et médecin. 

  

   "Les hommes et les femmes me rendent hommage ; par milliers

   Ils me suivent ; il veulent savoir par où passe le chemin qui rapporte.

   Ils me consultent, les uns par besoin de prophéties, les autres sur un cas

   Dans les maladies de toutes sortes, pour entendre la parole de guérison

  Percés qu'ils sont depuis si longtemps de cruelles douleurs" 'Les purifications : vers 8 à 12 : trad Jean Bollack) .

 

Empédocle apparaît ici comme un sage à l'ancienne, savant universel, thaumaturge, prophète, et guérisseur. Lucrèce, à la suite d'Epicure, se pose plutôt, plus rationnellement, plus scientifiquement, comme un psych-iatre, "à la parole de guérison". A l'humanité souffrante il offre le remède, mais ce remède est amer, si amer qu'il faut le déguiser dans la douceur du miel, entendons la parole poétique. La poésie se doit d'exposer, selon la beauté, l'amertume de la doctrine du vrai. C'est dire si la vérité est cruelle, et difficile à entendre, "odieuse au vulgaire qui la fuit". 

Je ne sache point que cette image se trouve chez Epicure, qui ne qualifie jamais d'amère sa doctrine. Là où Lucrèce est âpre, Epicure est souriant, détendu, amical. Pourtant la dimension tragique est pleinement assumée, mais comme sublimée, spiritualisée dans  une esthétique du plus proche : toucher, sentir, goûter, "gouster le jour", s'ébattre plaisamment dans la plénitude du présent.

Bien sûr il faut une juste compréhension des choses, bien sûr, sans l'étude de la nature il n'est pas de plaisirs purs, mais Epicure est un Grec : en lui la vérité et la beauté vont de pair, indissolublement. Quelque chose de ce sourire hellénique est perdu chez le Romain Lucrèce, quelque chose de plus torturé se fait jour, qui annonce le déclin. 

J'aime plus que tout Lucrèce comme poète tragique, mais c'est Epicure que je consulte, et que je suis, comme thérapeute de l'âme, et comme exemple d'humanité.

 

 

  

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