L' ENIGME ET LE SENS
Le meilleur est improbable, le pire n'est pas sûr. Et nous voilà cahotant entre les deux bornes, à la recherche de rien. Aurons-nous même le temps, et la chance d'un bilan ? Peut-être mourrons-nous sans conscience, emportés tout soudain au hasard d'une rencontre fâcheuse, privés à jamais de la solution de l'énigme. Mais il se pourrait bien qu'il n'y ait pas d'énigme, ni de solution, à moins de poser que la solution, précisément, est de voir qu'il n'y a pas d'énigme.
Le contexte originel de l'énigme c'est la parole du dieu, recueillie par la Pythie, transmise à l'homme, parole obscure, difficile à saisir, qui oblige et engage. Seul le dieu possède le savoir, l'homme ne peut s'assurer de rien, il est réduit à errer dans l'incertitude, et pourtant il est sommé d'agir selon le décret du dieu. Il existe bien un Sens, mais ce sens est voilé : d'où les errements, les fautes, les crimes et la souffrance. Toute cette affaire repose sur le préjugé selon lequel il y aurait une intelligence supérieure qui régirait le cours du monde, une intention souveraine qui voue tout un chacun à une place définie, et fixe pour chacun les cadres de sa destinée. Moros : la part destinale qui fait destin.
Les religions excellent à disposer sur l'écran de la réalité un voile opaque, une construction plus ou moins délirante de mythes dont la fonction première est d'obscurcir la pensée pour garantir la pérennité de la croyance. Ce sont les champions de l'énigme : elles mêlent astucieusement le visible et l'invisible, l'apparent et le non-apparent, le manifeste et le latent, laissant entendre qu'il y a toujours quelque chose de mystérieux, d'énigmatique derrière les apparences, des forces occultes, des esprits frappeurs, des entités redoutables, et nous voilà à expecter, quêter, sonder, et le ciel et la terre, à la recherche de la formule décisive qui détermine nos destins. Tout cela serait comique s'il n'en résultait pas, si souvent, des condamnations pour hérésie, des persécutions et des bûchers.
La vraie critique, dans ce fatras infini de croyances, ne consiste pas à démêler le vrai du faux, à sauver ce qui peut l'être. Vous n'en viendrez jamais à bout. La vraie critique c'est de tout refuser, tout rejeter en bloc et d'affronter, le front haut, cette idée difficile et nécessaire, que le Sens est une invention purement humaine, culturelle, née du besoin de sécurité - et nullement une donnée de la réalité. Nous avons projeté du sens sur les choses, les astres, le ciel, l'univers, croyant y déceler des intentions ou des volontés, sans voir que par là nous ne faisions que nous parler à nous-mêmes, à nous y mirer nous-mêmes dans un soliloque narcissique et pathétique.
Les astres ne parlent pas.
Le propre des apparences c'est qu'elles apparaissent. Rien en deçà, rien au delà. C'est la position minimaliste, celle qui se tient, toute affaire cessante, à l'orée des apparences,