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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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14 juin 2021

"IL N' Y A RIEN" ?

 

A présent moi aussi je peux dire à la manière de Gorgias, mais en un sens différent : il n'y a rien, s'il y avait quelque chose on ne pourrait pas le connaître, et si on le connaissait on ne pourrait pas le communiquer. C'est le premier axiome qui est le plus important : ouden esti, rien n'est, c'est à dire aucune chose, aucun vivant ne possède de l'être, ne possède stabilité et permanence. C'est évidemment une réfutation des penseurs de l'Etre, comme Parménide qui disait : l'être est, le non-être n'est pas. Je ne crois pas que Gorgias veuille soutenir la thèse du non-être en propulsant toute chose dans le néant, position intenable et contradictoire puisque quelqu'un est bien présent pour affirmer sa présence par son discours. De plus affirmer le non-être serait aussi faux que d'affirmer l'être : deux positions dogmatiques étrangères à Gorgias.

Je dirai donc comme Gorgias qu'il n'y a pas d'être, mais des processus, des évolutions qui font que jamais rien n'est stable, ni fixe, ni identique à soi. Le reste en découle : la connaissance n'est pas nulle mais instable, amendable, approximative. Et ce qu'on communique est toujours une fricassée imparfaite, partielle, sujette à caution.

Mais tout cela je crois l'avoir établi. Je vois une autre direction possible : non seulement il n'y a pas d'être, mais pas davantage de sens et de valeurs. Cette proposition est de beaucoup plus destabilisante car elle touche à ce que nous croyons, estimons, espérons et redoutons. On dira : sens et valeurs soutiennent l'édifice du moi et de la société, nul ne peut s'en passer s'il désire affirmer sa vie ou simplement la maintenir. C'est exact, mais ce ne sont que des conventions comme disait Démocrite, ou des affabulations, des abstractions qui organisent la vie sociale tout en étant dépourvues de toute réalité objective. Rien que des mots, des images, des constructions mentales qui deviennent efficaces par la croyance, par l'adhésion inconditionnelle du public. Aucune croyance ne vaut par son contenu, elle ne tient que par la persuasion, libre ou forcée, qu'elle inspire. On vénère aujourd'hui ce qu'on vilipendait hier, avec la même ardeur, sans s'apercevoir de la piperie - comme dans ces phénomènes de mode qui font allonger les robes un jour pour mieux les raccourcir demain.

David Hume disait que c'est l'opinion qui assure l'ordre social, et même le pouvoir qui se voit déboulonné quand la population se met à haïr les dirigeants. Les croyances (l'opinion) sont toutes-puissantes, elles fédèrent, elles rassurent, elles jugent, elles condamnent ou sanctifient, elles définissent le bien et le mal, le juste et l'injuste, le beau et le laid, elles font le bonheur et le malheur de la vie. Leur statut exact : ce sont des représentations qui, en organisant la vie sociale et individuelle, recouvrent, voilent irrémédiablement la réalité. L'homme est condamné à vivre dans l'ordre symbolique (le langage, la loi, les institutions) tout en se livrant à la prolifération des images, idoles, fétiches et autres substituts à la complétude qui lui manque. Et à l'arrière-plan, l'énigme, ce trou dans le savoir et le pouvoir, par quoi il pourrait trouver quelque rapport au réel.

Ne disons pas "il n'y a rien", disons il y a ce pas-rien qui n'est pas la chose même, mais sa contrefaçon tragi-comique.

Point de vue paléoanthropologique : à chaque problème qui agite notre monde je réponds en me plongeant dans l'histoire, de plus en plus loin, et présentement dans la plus ancienne préhistoire. Quelle était la vie de ces hommes d'autrefois, sans Etat, sans administration, sans police des moeurs, sans tribunal, sans divinités, sans églises ni clergé, sans doute avec un minimum de croyances, car il fallait bien un minimum pour créer un lien familial ou groupal. C'est à peu près le point zéro, celui où l'organisation précaire du clan touche au plus près à l'hétérogénéité de la nature.

C'est peut-être ce que Montaigne a cherché à saisir en rapportant le mode de vie des Amérindiens ("Des cannibales"). Quant à Rousseau je le vois tourner sans fin autour de la question de l'"homme naturel" sans parvenir à le définir. On ne sait, à le lire, s'il le faut chercher dans la préhistoire ou dans le coeur d'un homme qui ne serait pas corrompu par les faux prestiges de la société. Quoi qu'il en soit, le modèle préhistorique est incertain, et de toute manière définitivement caduc. Il ne peut servir qu'à interroger, par le contre-exemple, un certain nombre de pseudo-certitudes. Voir l'homme nu c'est encore le meilleur moyen d'approcher de la vérité.

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Commentaires
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Dans le soutra du diamant le Bouddha a dit que c'était le calomnier que de dire qu'il enseignait quelque chose. Il dit : " Délivrer le dharma signifie que nul enseignement est délivré ". Par conséquent, pour le Bouddha, dire qu'il n'y a rien est encore une compréhension fausse.
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X
Trouver du sens existentiel est difficile mais faire face au vide existentiel est héroïque. Quoiqu'il en soit, ce sont juste des phénomènes de la conscience dont il ne faut pas dépendre.
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G
Excellente idée de nous donner ce texte admirable.de Montaigne. Sur la question de fond je crois que nous sommes victimes du langage, et de l'usage intempestif du verbe "être". Que quelque chose existe (le monde, les forêts la mer etc) nul n'en doute sérieusement, mais cela n'en fait pas pour autant de l'être, qui implique stabilité, identité, permanence.. Dire "il y a" ne veut pas dire "l'être est".
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C
Il y a ou il n'y a pas . Quant à moi je pense modestement que l être existe bien mais nous ne pouvons le saisir ,il nous échappe sans cesse , en perpétuelle évolution , instable et impermanent mais si nous ne pouvons pas le saisir ,nous ne pouvons pas dire qu'il n'y a pas d' être. Parler des processus pour obvier le problème et se sortir de cette aporie est peut-être un peu facile . Plutôt que de continuer à pérorer sur cette question cruciale en philosophie ,je vous joins un extrait de l'apologie de Raymond Sebond de notre cher Montaigne où tout est dit .<br /> <br /> <br /> <br /> Finalement, il n’y aucune constante existence, ni de notre être, ni de celui des objets. Et nous, et notre jugement, et toutes choses mortelles vont coulant et roulant sans cesse. Ainsi il ne se peut établir rien de certain de l’un à l’autre, et le jugeant et le jugé étant en continuelle mutation et branle. Nous n’avons aucune communication à l’être, parce que toute humaine nature est toujours au milieu entre le naître et le mourir, ne baillant de soi qu’une obscure apparence et ombre, et une incertaine et débile opinion. Et si, de fortune, vous fichez votre pensée à vouloir prendre son être, ce sera ni plus ni moins que qui voudrait empoigner l’eau : car tant plus il serrera et pressera ce qui de sa nature coule partout, tant plus il perdra ce qu’il voulait tenir et empoigner. Ainsi, étant toutes choses sujettes à passer d’un changement en autre, la raison, y cherchant une réelle subsistance, se trouve déçue, ne pouvant rien appréhender de subsistant et permanent, par ce que tout ou vient en être et n’est pas encore du tout, ou commence à mourir avant qu’il soit né. Platon disait que les corps n’avaient jamais existence, oui bien naissance, estimant que Homère eût fait l’océan père des dieux, et Thétis la mère, pour nous montrer que toutes choses sont en fluxion, muance et variation perpétuelle […] ; Pythagore, que toute matière est coulante et labile ; les Stoïciens, qu’il n’y a point de temps présent, et que ce que nous appelons présent n’est que la jointure et assemblage du futur et du passé ; Héraclite, que jamais homme n’était deux fois entré en même rivière ; Epicharme, […]que celui qui cette nuit a été convié à venir ce matin dîner vient aujourd’hui non convié, attendu que ce ne sont plus eux : ils sont devenus autres, et qu’il ne pouvait se trouver une substance mortelle deux fois en même état, car, par soudaineté et légèreté de changement, tantôt elle dissipe, tantôt elle rassemble ; elle vient et puis s’en va. De façon que ce qui commence à naître ne parvient jamais jusqu’à perfection d’être, pour autant que ce naître n’achève jamais, et jamais n’arrête, comme étant à bout.<br /> <br /> Claude
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X
Je vais essayer de le dire le plus simplement possible : le penseur de l'Etre ne nie pas que tout est impermanent, que son corps et son esprit vont disparaître. Ce qu'il nie c'est qu'il est son corps et son esprit. De la même manière que l'observateur n'est jamais la chose observé, l'Etre évolue à un autre niveau, dans une autre dimenson et n'est pas piégé par le temps.
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