DU MALHEUR DE LA POLITIQUE

Moi qui voyage si piteusement dans l'espace, cultivant une robuste incrustation dans ma demeure, me voilà à nouveau errant dans les siècles passés, visitant par la pensée les chères civilisations qui ont fait l'homme, et qui pourtant sont entachées de guerres atroces, de massacres et d'injustice. Louis XIV initie la splendeur du Grand Siècle, et c'est le même homme qui révoque l'Edit de Nantes, livrant les protestants à la vindicte d'une soldatesque scélérate. On aime à songer que ce siècle fût pacifique, bienveillant pour les pauvres, tolérant à toutes les croyances, juste dans l'impôt, égalitaire dans l'administration. Hélas cela ne se rencontre nulle part et en aucun temps, à croire que la politique est définitivement le malheur de l'humanité.

Remontez vers la Grèce antique, en Crète minoenne, en Egypte - ou de l'autre côté, au Japon, en Inde et en Chine, vous ferez les mêmes constats. Partout l'apparition des empires signe la destruction de ces libertés de nature qui étaient le bien le plus précieux des sociétés nomades. Avec l'agriculture commence le travail forcé, la fixation autoritaire au sol, l'exploitation des paysans, la soumission à la caste militaire, au pouvoir central, dont l'administration, à la manière d'une toile d'araignée, recouvre et organise la gestion publique. Nous y sommes toujours, et nous y serons aussi longtemps que durera la présente logique de l'accumulation.

J'apprends qu'une de nos puissances du moment a mis au point une arme encore plus terrifiante que toutes celles qui existent. Des ogives sous-marines, propulsées à des vitesses inégalées, qui provoqueraient un tsunami capable d'engloutir une mégapole, pendant que les charges nucléaires, libérées, détruiraient toutes les installations locales - sans parler de l'annihilation de la population - cataclysme auprès duquel Hiroshima serait un bouton de rose. De quoi frémir ! Mais je demande : à quoi sert une telle arme dont on ne pourra jamais se servir, car son usage entraînerait en retour une riposte si colossale que l'initiateur du conflit serait vraisemblablement anéanti. Qui pourrait s'estimer gagnant dans une telle occurrence ? On dira que ces armes ont plutôt une fonction dissuasive, et que la dissuasion, depuis soixante-dix, a évité des conflits de grande ampleur. Soit, mais alors il suffirait d'un accord entre grandes puissances pour mettre fin à cette course démentielle, ruineuse et infinie.

Toujours à propos de mes voyages dans le temps : si je le pouvais, je reviendrai volontiers d'ici vingt ou cinquante ans, jaillissant de ma tombe comme un zombie, pour observer l'état de la planète, les évolutions politiques et sociales, les réalisations culturelles. Comment ne pas se demander : y aura-t-il des crises climatiques, des guerres de l'eau, des pandémies, de profonds changements dans la vie des gens, comment évolue la démographie etc. Pour un Indien des plaines le monde à venir était le même que celui où il vivait. Avec l'arrivée des colons blancs l'avenir était subitement voilé, imprévisible. Nous sommes dans cette situation-là : bien malin, ou décidément prétentieux, celui qui fait des plans sur les décennies à venir. Le drame, dans cette affaire, c'est que chacun sent bien que l'avenir lui échappe, et qu'il n'a aucun moyen de s'en assurer.

Comments

[Ana]

L’Avenir nous échappe, aucune doute, on le sent plus de nos jours mais, peut-être que il nous a toujours échappé. C’est la vie dans cette planète inouïe avec cette humanité folle.

[X]

Peut-être que la meilleur philosophie est celle d'abandonner toute idée de bonheur et de sécurité puisque c'est impossible. Et marcher, enfin, lucidement vers l'inconnu...

[Yvescat]

Si ça n'est pas trop vous demander, pourriez vous commettre un prochain texte rédigé en 2080 ? Je pense ne pas être seul à espérer cette sortie furibonde de votre tombe ! Avec toute ma gratitude pour cet effort si vous y consentez.