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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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17 mars 2021

LE VIEUX POETE : Arthur Schnitzler

 

Dans une nouvelle posthume "Gloire tardive", Arthur Schnitzler raconte l'histoire suivante : voici un homme qui dans l'ardeur de sa jeunesse avait publié un recueil de poèmes qui était passé inaperçu. Se détournant dès lors de la poésie, notre homme se range à l'existence bourgeoise, occupe un poste de fonctionnaire, n'écrit plus un vers pendant trente ans, finit par oublier qu'il avait jadis brigué une réputation de poète. Mais voici qu'un soir un jeune homme se présente qui le comble d'admiration et de reconnaisssance. N'est-il pas le sublime auteur des "Promenades" ? Et de le convier à rejoindre un groupe d'artistes qui se propose de lutter contre la médiocrité ambiante et de tenir des soirées littéraires. Le vieil homme est abasourdi. Pensez donc, trente ans sans écrire, et puis voici de jeunes talents qui l'admirent, le lisent, le courtisent. Il se laisse entraîner, fréquente assidûment leurs réunions, et accepte finalement d'écrire un nouveau poème qui serait lu en public. Mais voilà, il se retrouve totalement sec, incapable d'aligner deux mots. Les lieux qui l'avaient inspiré autrefois, eux-mêmes, ne ressemblent en rien à ce qu'il avait gardé d'eux en souvenir. Finalement il accepte qu'on lise un poème de son ancien recueil. La soirée publique où chacun des membres lira ou fera lire un texte sonnera le glas de l'aventure : certes il y eut des applaudissements, mais après ? Lui, le Poète, en quoi aurait-il été distingué des autres pour son talent ? Et puis, comble d'ironie, il découvre enfin que ces jeunes gens qui prétendaient l'admirer, le porter au pinacle, ne l'avaient pas même lu !

Amer, mais finalement soulagé, pour la seconde fois le veil homme se détourne de tout cela, et s'en va tranquillement rejoindre ses vieux amis à la taverne, pour une bonne bière et des jeux de cartes.

C'est un beau livre. On y trouvera beaucoup d'humour dans l'évocation amusée de cette jeunesse viennoise, enthousiaste, naïve, follement prétentieuse, la même au demeurant que Schnitzler lui-même avait fréquenté jadis. Mais l'essentiel porte sur le destin singulier du vieil homme, héros malgré lui d'une aventure dont il est à la fois la victime consentante et l'acteur ambigu. Il avait renoncé à la gloire et voilà qu'on la lui offre sur un plateau, c'est du moins ce qu'il croit, avant de découvrir qu'il était joué. Son ego s'est enflé à la mesure de ses aspirations mal éteintes, pour connaître après coup la pire des humiliations lorsqu'il entend, lors de la soirée, quelqu'un dire : "pauvre diable" ! - On songe à cette insulte, la pire peut-être qu'on puisse adresser à un homme qui ne sait pas vieillir : vieux beau !

Il n'y a rien de ridicule à écrire, à publier ou à lire des poèmes en public. Du moins s'il s'agit vraiment de poésie. Ici il s'agit plutôt de renommée, de réputation, de célébrité, de gloire, comme l'indique le titre. Etre reconnu, voilà le mot, comme poète pourquoi pas, parce que le poète, dans l'ancienne culture, jouissait d'un respect universel. Mais ce n'est plus vrai : Schnitzler souligne le fait qu'en réalité le monde se moque bien de la poésie : le malandrin qui fait des déclamations en vers boiteux, lors d'un dîner, remportera bien plus d'applaudissements. Les admirations mondaines ne vont pas sans ironie, comme tout cérémonial convenu. Cette oeuvre tardive dénote peut-être chez l'auteur une sourde mélancolie : pourquoi l'art, pourquoi la poésie, si nul ne l'apprécie sincèrement, de tout son coeur ?

J'en viendrais presque à une solution extrême : séparer totalement la création de la réputation. Comme faisait Monsieur de Sainte Colombe refusant d'aller à Versailles auprès du roi, pour composer dans la solitude ses élégies intimistes pour viole de gambe. Ou encore comme ces chers poètes Taoïstes, réfugiés dans la Montagne Vide. Et si les oeuvres, sous l'action du temps ou de la malveillance, finissent par disparaître, qu'y pouvons-nous ? Occupons-nous à chanter au présent.

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Commentaires
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Personne ne peut aller très loin en philosophie ou en poésie, par exemple, s'il est attaché à la réputation. Il faut choisir. C'est pour ça que les gens réputés ne fabriquent que des choses moyennes. Les taoistes disent que les dieux n 'apparaissent qu'à ceux qui s'en approchent. L'histoire que vous racontez est l'histoire d'un homme qui s'est perdu dans la médiocrité.
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