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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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16 octobre 2020

DE LA LACHETE :

 

Retour sur la question de la lâcheté.

Lâche : qui n'est pas tendu, ex une corde lâche

             trop mou, qui manque d'énergie ou de vigueur

            qui manque de courage, qui fuit la difficulté

              qui n'a que des sentiments vils ou méprisables. (Littré)

C'est ainsi que l'on glisse insensiblement d'une simple définition physique à une condamnation morale, qui prévaut ordinairement dans l'usage du mot. Pâris se dérobe au combat devant Agamemnon ; comme on dit en langage familier, il ne fait pas le poids face à un adversaire aguerri, massif, musculeux, redoutable. Est-il lâche ? Oui selon les canons de la gent guerrière, mais il peut préférer sauver sa vie, fût-ce dans la honte, à la mort dans l'honneur. On peut même retourner l'analyse : n'est-ce pas Agamemnon qui est lâche, de provoquer au combat un homme qui n'a pas les moyens de se défendre, voué à un trépas inévitable ? "A vaincre sans péril on triomphe sans gloire".

Dans le sens originel du mot nous avons une indication intéressante : la corde lâche, le tissu lâche, mal serré, qui ne tient pas la chaleur, qui cède à la friction ou à la pression. Image d'un moi flottant, mal fagoté, incertain de soi, velléitaire, indécis, influençable. Il manque un principe organisateur, une direction d'ensemble, une volonté unificatrice. L'ancienne psychiatrie parlait assez justement de "psychasthénie" - faiblesse mentale, fatigue, découragement. Cette appréciation a le mérite de simplement décrire un état psychologique sans y mêler de jugement moral. Simple constat objectif : re-lâchement général dont on peut décrire la symptomatologie ordinaire. Encore un pas, et l'on remplacera la "psychasthénie" par la "dépression". Et de fait, dans la dépression, c'est l'ensemble de l'organisme qui se relâche, engendrant le ralentissement moteur, émotionnel et idéatif qui est le premier signe, le plus universel de la pathologie dépressive..

Lorsque Lacan, dans une de ces saillies dont il était coutumier, déclare que la dépression est une lâcheté, on se demande spontanément s'il n'a pas perdu l'esprit. Est-il bien charitable de vilipender des personnes qui souffrent déjà intensément dans leur corps et leur âme, sans y ajouter la condamnation morale et le mépris ? Est-ce digne d'une homme dont la profession est d'écouter la souffrance ? Si maintenant il s'agit de dénoter cet état de relâchement, d'invoquer une faiblesse du désir, soit - mais pourquoi jouer avec ce mot de lâcheté, qui charrie la honte, la culpabilité, le déshonneur, l'opprobre, la disqualification sociale ?

Jeu de mots pour jeu de mots, je risquerai ceci : lâche est celui qui lâche la proie pour l'ombre, c'est à dire qui, se trompant sur la nature et l'objet de son désir, s'égare en des bosquets ténébreux, et, ne trouvant ce qu'il cherche, se désespère, se recroqueville en soi-même, se relâche et s'étiole. C'est la vitalité du désir qui maintient la tension nécessaire, et par là, l'architecture complexe du corps-esprit.

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