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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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9 octobre 2020

La MONTAGNE MAGIQUE (2) : l'amour et la mort

 

Je viens de terminer la lecture de "La montagne magique". Ce fut à la fois un enchantement de l'esprit et une épreuve. Enchantement de nombreux passages qui s'élèvent jusqu'au sublime, comme ce chapitre "Neige" qui me laisse confondu d'admiration. Par ailleurs j'ai beaucoup apprécié les pages narratives, toujours précises et suggestives. Mais une épreuve aussi, presque un "travail" - travail du négatif si l'on veut - dans la représentation de la maladie, son horreur muette et sa dangereuse séduction, dans la succession inquiétante des décès. Ce sanatorium est à la fois un lieu de repos, un asile de paix et de liberté, et une figure obsédante des enfers : on s'y repose, on jouit du confort et de toutes les commodités, on mange cinq fois par jour, on ne se soucie de rien, on goûte à une sorte de liberté paradisiaque - et puis on voit disparaître un compagnon de table ou de jeu, on s'informe, on apprend qu'il est mort. D'autres vont suivre, et d'autres encore.

Le livre se présente comme l'entrecroisement de deux lignes de forces. Selon la première c'est un roman de formation (Bildungsroman), genre classique de la littérature allemande : représenter l'évolution mentale et intellectuelle d'un personnage à travers des événements significatifs. Hans Castorp, plutôt naïf, sans passion particulière, futur ingénieur, va évoluer au contact des autres pensionnaires, se détacher de son milieu d'origine, s'ouvrir à l'amour et aux idées qui agitent le monde. (J'avoue que je n'ai guère été touché par les longs débats théoriques, et après quelque temps j'ai décidé de les sauter pour revenir à la narration proprement dite. Je ne crois pas avoir mal fait. Ces réflexions me semblent irrémédiablement datées). La seconde ligne de force est l'expression des rapports ambivalents de Thomas Mann avec le corps, l'amour, la maladie et la mort - problématique aigue qui soutenait le récit de La Mort à Venise (livre que j'ai adoré). Avec en sus la fascination qu'exerce le jeune homme, Tadzio dans La mort à Venise, à laquelle répond, de la part de Hans Castorp, une fascination égale pour Hippe "aux yeux tartares" - et par identification et déplacement, un égal attrait pour Clawdia Chauchat, "aux yeux tartares", laquelle somme toute est une nouvelle incarnation de cet amour d'antan. Ainsi donc dans une femme on peut aimer le jeune homme qu'elle évoque en dépit d'elle par un trait singulier comme ces "yeux tartares" ! Pour Thomas Mann, la beauté, celle qui renverse l'ordre commun, celle qui chavire, celle qui inspire l'amour à mort, semble plutôt masculine, fleurissant dans le corps des jeunes gens. 

J'avais relevé jadis, dans La mort à Venise, l'opposition dramatique entre le thème apollinien (la beauté, la forme, l'idéal) et le thème dionysiaque (la décomposition et la mort). L'amour est cette force ambiguë qui participe des deux, faisant vaciller le héros entre l'affirmation de la vie et la séduction de la mort. D'où son charme trouble et envoûtant. Thomas Mann est à sa manière un sorcier des abîmes.

 

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Commentaires
J
Bonjour Guy, <br /> <br /> sorcier des abîmes, le mot est juste.<br /> <br /> Je viens d'achever Les Buddenbrook, une somme aussi, où Mann explore, différemment, les abîmes d'une famille en dégénérescence.<br /> <br /> J'ai aussi beaucoup aimé La mort à Venise.<br /> <br /> Enchantement et épreuve que la lecture de la Montagne magique en effet, lu il y a 2-3 ans, prenant le temps d'en savourer chaque instant malgré les longueurs.<br /> <br /> Un des bouquins fleuve qui se méritent et qui m'ont marqué, comme, dans un autre registre, "Le jeu des perles de verre" de Hesse, dont j'ai pratiquement tout lu. <br /> <br /> <br /> <br /> Grand écrivain que Mann,et très belle analyse.<br /> <br /> <br /> <br /> En ce moment je n'en ai que pour Ramuz. Ça me passera mais il vaut le détour.<br /> <br /> Amitiés, Jean-Claude
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X
Si j'avais lu ce livre très jeune, il aurait sans doute été très difficile pour moi d'avoir compris ce que j'ai compris aujourd'hui, à savoir que le sanatorium n'est au fond, derrière tout le cirque des conversations mondaines souvent ridicules, qu'un piège démoniaque qui se referme sur le héros et la confirmation que le diable est tout autant chez lui dans la science quand dans la religion. <br /> <br /> Mais il est sur que j'aurais, assez rapidement, pris mes jambes à mon cou si j'avais été à la place de Castorp et pas forcément pour redescendre en bas mais plutôt pour rester en montagne en homme libre et hors de danger de cette " médecine " de mort plus que de vie. <br /> <br /> D'ailleurs le héros, lobotomisé par son séjour dans le sanatorium, ne redescend pas en Zarathoustra, en sage ou en homme libre mais pour la guerre...
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F
Cher Guy,<br /> <br /> <br /> <br /> "La Montagne magique" est pour moi une lecture lointaine. Il me reste en mémoire l'atmosphère lénifiante d'un sanatorium de luxe où le temps s'écoule comme lorsqu'on s'embarque pour une croisière à bord d'un transatlantique. Là, chaque passager attend d'être débarqué pour toujours. <br /> <br /> <br /> <br /> "La Mort à Venise", superbement adaptée à l'écran par Visconti, traduit une semblable attente de la fin en présence d'un ultime objet de désir inaccessible — à l'image de l'idée platonicienne du Beau incarnée par Tadzio. Rappelez-vous ces mots: <br /> <br /> <br /> <br /> "Pour nous rendre visible le supra-sensible, un dieu se plaît à employer la forme et la couleur de l'adolescence qu'il pare pour en faire un instrument du souvenir de tout le rayonnement de la beauté, et il nous arrive ainsi en le regardant de nous enflammer d'un douloureux espoir". <br /> <br /> <br /> <br /> À mon sens, je dis bien à mon sens, rien de nietzschéen dans cette esthétique crépusculaire du douloureux espoir, comme du sentiment de déclin et de finitude qui traverse "Les Buddenbrook", mais bien plutôt une littérature inspirée par Schopenhauer — nous avons l'art pour nous montrer l'existence dans sa cruelle vérité — auquel Thomas Mann vouait une admiration telle qu'il lui consacra de belles pages (publiées chez Buchet-Chastel). <br /> <br /> <br /> <br /> L'automne est au rendez-vous, ce qui me semble poli de sa part.<br /> <br /> <br /> <br /> Bien à vous,<br /> <br /> <br /> <br /> Frédéric
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X
Analyse fort honnête. <br /> <br /> J'ajoute simplement que Mann dépeint aussi une certaine forme d'hystérie collective concernant la maladie et qui ne manque pas de raisonner aujourd'hui avec l'actualité. <br /> <br /> Dans le chapitre " neige " , pour prendre ce seul exemple, les malades vont jusqu'à accuser le soleil de ne pas remplir son travail, retardant ainsi la guérison, ce qui me laisse penser, que de toute évidence, la maladie et devenu une triste obsession avec la science. Science, qui selon moi, est devenu plus importante que la nature elle-même, erreur qui nous sera fatale.
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