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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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5 octobre 2020

DE LA COUPURE SYMBOLIQUE : Thomas Mann avec Epicure

 

Le jour même où j'écrivais le précédent article, par un de ces hasards qui vous saisissent d'étonnement, je lisais le passage suivant de Thomas Mann dans "La montagne magique". C'est  une déclaration de "Rhadamante", le médecin-chef Behrens, ainsi surnommé pour ses accointances avec les Enfers :

"Je connais la mort, je suis un de ses vieux employés ; croyez-moi, on la surestime. Je puis vous le dire, ce n'est presque rien du tout. Car tout ce qui, dans certaines circonstances, précède cet instant en fait de tracasseries, on ne peut pas très bien considérer que cela fait partie de la mort ; c'est tout ce qu'il y a de plus vivant et qui peut conduire à la vie et à la guérison. Mais de la mort, personne qui en reviendrait, ne saurait rien vous dire qui en vaille la peine, car on ne la vit pas. Nous sortons des ténèbres et nous rentrons dans les ténèbres. Entre ces deux instants il y a des choses vécues, mais nous ne vivons ni le commencement ni la fin, ni la naissance ni la mort, elles n'ont pas de caractère subjectif, en tant qu'événement elles ne relèvent que du domaine de l'objectif. Voilà ce qu'il en est" (Tome II, page  264)

Un peu plus avant l'auteur parlait de ce "sage malicieux" qui avait résolument tranché la question en affirmant qu'aussi longtemps que nous sommes, la mort n'est pas, et que lorsque la mort est, nous ne sommes plus. On y voit parfois une ridicule lapalissade, en ratant la vraie signification du propos, ou plutôt en feignant de ne pas comprendre. Car il s'agit en fait de faire passer une coupure absolue, radicale et sans concession, entre l'état de vie et l'état de mort, selon le principe du tiers exclu : ou c'est l'un ou c'est l'autre, il n'y a pas de tierce possibilité, comme serait une âme sans corps vivant dans les ténèbres infernales ou quelque séjour paradisiaque. Non point, quand la mort est passée, subjectivement il ne reste rien, et objectivement il reste le cadavre - d'où une indifférence absolue pour un état qui ne concerne en rien le sujet.

On réduit souvent l'épicurisme à une aimable sagesse de vieillard, mais alors comment expliquer la haine, l'acharnement dont il fut l'objet, notamment de tous les dévots revanchards de toutes les confessions monothéistes ? Il fallait bien qu'il y eût quelque raison. Pour ma part j'y vois une pratique de la coupure qui éradique à la source tout espoir de vie après la mort. Triple coupure, logique par l'application du tiers exclu, psychologique par l'affirmation de l'interdépendance indissoluble de l'âme et du corps, naturelle, car si le vivant peut mourir, le mort ne revient pas à la vie. Ce sont des évidences, mais il est singulier que de ces évidences on ne veuille point, on préfère continuer à rêver de cadavres vivants, de fantômes faméliques, d'âmes damnées ou bienheureuses en des lieux fantastiques. Ce qu'Epicure nous aura enseigné, pour le moins, c'est une sorte de "coupure symbolique", entendons par là une claire dénonciation de l'impossible. J'aurais tendance à penser que c'est précisément ce que nos dévots n'ont pu supporter, que tout se passe dans l'ici, et non ailleurs, et qu'il n'existe personne pour visiter cet ailleurs.

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Commentaires
G
Je ne suis pas sûr, cher lecteur, que vous lisiez ce livre selon l'intention de l'auteur en y voyant une sorte de roman policier. Il faut se souvenir qu'à l'époque la médecine ne disposait d'aucun remède efficace, ce qui fait que la plupart des malades étaient condamnés non par sadisme mais par absence de médicaments.<br /> <br /> Le livre est plutôt un "roman de formation" où l'on voit le héros évoluer progressivement, de sa naïveté native, vers une conscience plus acérée de la vie.<br /> <br /> Mais au total chaque lecteur est souverain et décide du sens de l'oeuvre selon sa propre subjectivité.
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G
Ce jugement est un peu sévère, parce qu'il existe bien de vraies maladies qui ne sont pas un effet de l'imagination. Toute la question est de savoir si le médecin respecte son éthique ou s'il se fait un profiteur sans vergogne en exploitant la crédulité des patients
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X
L'écrivain qui a lui même eu quelques problèmes dans un sanatorium ( ils ont voulu le garder 6 mois de plus pour un détail de santé insignifiant ) a surtout voulu dénoncer les abus de ces médecins qui, pour la science et l'argent expérimentaient plus qu'ils ne guérissaient et rendaient même malades des gens en bonne santé. Dans cet extrait, il est surtout question de montrer qu'au delà du discours douteux du médecin, Behrens est surtout un employé de la mort.
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