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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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15 septembre 2020

QUI EST PESSIMISTE ?

 

Ma mère me disait quelquefois que j'avais un nez pessimiste - comme mon grand-père, ajoutait-elle. Si la référence au grand-père me flattait, j'aimais fort cet excellent homme, la ressemblance supposée de nos deux excroissances nasales me laissait perplexe. Grand-père avait effectivement le nez long, mais sans excès, et moi plutôt le nez court, légèrement retroussé, nez fort banal et commun, terrien sinon rustique, sans rien qui pût évoquer le pessimisme.

D'où ma mère tirait-elle cette curieuse impression ? Peut-être voulait-elle signaler quelque propension têtue au retrait, à la réflexion, à la songerie, à la rêverie, qui de fait existaient bien chez mon grand-père, homme plutôt réservé, méditatif, taiseux et taciturne, "songe-creux" dirait Montaigne. Et moi de même. Mais tous ces caractères ne font pas de vous un pessimiste, lequel, selon l'étymologie, s'attend au pire. C'est une sorte de gravité songeuse, une pesanteur de l'âme, une somme de déceptions, une absence d'espoir, la conviction que rien ne peut soulever le couvercle de la nécessité qui font le pessimiste, qui lui donnent cette allure empesée. Le pessimisme est une disposition du sentiment, avant d'être une posture de l'intelligence. Mais comme le pessimiste est volontiers raisonneur, il ne peut s'empêcher, lorsqu'il prend la parole, de philosopher dans le sens de la dégradation et de la décomposition.

Je dirai : le pessimiste est plus sensible que quiconque à la nature répétitive, désespérément répétitive de toutes choses au monde. "Vanité des vanités, tout n'est que vanité". Et si quelque nouveauté apparaît sur la scène, il y verra le travestissement illusoire d'anciennes formes, mille fois apparues, mille fois trompeuses et disparues, et toujours là, et qui repoussent comme les têtes de l'Hydre mythologique.

Il y a bien sûr du vrai là dedans, n'en déplaise à l'optimiste qui s'emballe et s'extasie. Mais ce qui me fait problème c'est la conviction du pire. Tout va au pire, tout va à la fin, suivant la pente fatale de la dégradation, et, à tout prendre, tout est déjà fini : l'homme est venu trop tard dans un monde trop vieux. Et si tout est déjà fini, virtuellement, il n'y a en somme qu'à attendre que la fin soit manifeste. Le pessimiste vit mentalement "à la fin des temps", expectant les trompettes de l'Apocalypse.

Optimiste et pessimiste ont un point commun : ils se rapportent l'un et l'autre, l'un sur le mode de l'exaltation joyeuse, l'autre de l'exaltation funèbre, à une fin de l'histoire. "Tout finit par s'arranger" dit l' optimiste, "tout conspire au pire" dit le pessimiste. Pour l'un comme pour l'autre il y a une fin, tout se rapporte à cette fin, tout prend sens par rapport à cette fin.

Mais de quelle fin parle-t-on ? S'il s'agit de la fin personnelle le pessimiste a raison : rien de plus sûr que la mort. Mais est-ce une raison pour vivre en mourant, anticipant le terme dans le ressassement ? Montaigne disait : la mort est le bout de la vie, non le but. Maintenant, s'il s'agit de la fin de l'Histoire, ou de l'humanité, nous n'en savons rien et ne pouvons rien en savoir. Est-il bien raisonnable de s'enterrer dans un bunker avec réserves d'eau et de vivres, dans l'attente du grand soir ou du matin d'Apocalypse ?

Les Grecs pensaient autrement : ni début ni fin, les choses continuent, rien ne s'arrête : "Ce monde, le même pour tous, ni dieu ni homme ne l'a fait, mais il était toujours, il est et il sera, feu toujours vivant, s'allumant en mesure et s'éteignant en mesure" (Héraclite, DK 30

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Commentaires
X
ni pessimiste<br /> <br /> ni optimiste<br /> <br /> serein et lucide !
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D
Excellente clarification. J’ajouterais volontiers avec ce cher Clément Rosset que le pessimisme comme l’optimisme ont en commun une certaine idée de l’ordre, le meilleur ou le pire mais ordre tout de même. Reste la troisième voie, la perspective tragique pour laquelle dégradation et création ne sont qu’une seule et même chose.
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