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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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17 août 2020

LE TEMPS D'AVANT, LE TEMPS d'APRES

 

Avant notre naissance il s'est écoulé un temps infini où nous n'étions pas. Cela ne nous émeut guère. Tout au plus va-t-on s'enquérir des parents proches, sur deux ou trois générations, pour se faire une idée de nos géniteurs, ou de la lignée d'où nous sommes issus. Cette quête peut avoir son intérêt, mais enfin nos ascendants ne sont plus, et nous ne saurons jamais ce qu'ils ont vécu, senti, pensé en dehors de la représentation limitée que nous pouvons nous en faire. Vient assez vite le moment où nous nous disons : eux c'est eux, et moi c'est moi. Il faut apprendre à se détacher du passé, s'il est évident qu'il est impossible de le changer.

Il reste cette idée à la fois baroque et lumineuse : avant de naître nous n'étions pas. Cela ne nous pose aucun problème. Si maintenant, continuant le paradoxe, nous disons : après la mort nous ne serons plus, c'est alors que l'esprit se rebiffe, piaffe et se cabre, à la recherche d'une parade. Par exemple : "je veux bien que le corps meure, mais l'esprit, que faites-vous de l'esprit ? Qui vous dit que l'esprit ne jouit pas d'une sorte de vitalité post mortem, lui qui est capable de concevoir l'éternité" ? Voici donc les termes du paradoxe : on accepte sans difficulté de n'avoir pas été, mais ne peut accepter de n'être plus.

Et pourtant des deux côtés, avant et après, c'est le même néant. La vie est une parenthèse entre deux néants - je parle de néants subjectifs, néants pour-nous, car si nous n'y étions pas, ou n'y serons plus, cela n'empêche pas le monde de tourner.

Certains refusent de mourir parce qu'ils ne peuvent admettre que le monde continue sans eux. Ils se donnent bien de l'importance ! Ils agissent comme ces tyrans qui exigeaient que leurs femmes, leurs mulets et leurs esclavent fussent enterrés tout vivants, avec eux, lors des funérailles.

A tout prendre, la pire blessure narcissique, la plus vive et la plus brûlante, est cette découverte macabre de l'être-pour-la-mort à laquelle il n'est pas de parade : "Face à la mort nous sommes tous une citadelle sans murailles" (Epicure). Toutes nos blessures, toutes nos déchirures, nos pertes et nos deuils, se ramènent fondamentalement à celle-là, font signe vers elle, l'évoquent sans la nommer, de peur de la précipiter.

La première dent qui tombe, la première coulée de sang, blessure de corps, blessure d'amour, décès d'un proche : la conscience de la mort s'insinue par degré, ennuitant la vie.

Hé quoi, c'est ainsi. La seule chose que l'on puisse faire, qui n'est pas une parade, c'est de vivre consciemment comme sujet singulier, unique de son espèce, décidément mortel, tout en prenant rang dans la continuité symbolique de la philosophie. Le Jardin fut la création personnelle d'Epicure, en un temps et un lieu définis, mais son esprit vit à travers les siècles, suscitant et inspirant l'intelligence de ses amis innombrables. Communauté informelle, ouverte, sans chef ni police, qui donne l'image d'une quasi immortalité - le temps que dure l'humanité.

 

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Commentaires
J
Bonjour Guy,<br /> <br /> article remarquable sur lequel je me suis attardé, tout y est dit et bien dit.
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