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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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30 juillet 2020

L'AME DE LA MUSIQUE : NIETZSCHE

 

Epiphanie génoise :

"Son de cloche à Gènes le soir - mélancolique, effroyable, enfantin. Platon : rien de ce qui est mortel n'est digne d'un grand sérieux".

Cette note rapide de Nietzsche contient une riche polyphonie de sens, jetés comme des cristaux chatoyants.

C'est le son de la cloche qui éveille le souvenir de l'enfance, et qui déchire l'âme, la plongeant dans une profonde mélancolie : l'église, le clocher, le village et la campagne, la mort précoce du père bien-aimé, pasteur de son état. La cloche rythmait la vie paisible, que l'enfant pouvait croire éternelle, et qui a sombré soudain dans la douleur. C'est ainsi que naît un musicien portant au fond de son âme une mélodie sombre, comme une basse continue qui parfois semble s'éteindre, et parfois fait retour en provoquant l'effroi : "schauerlich". C'est évidemment l'effroi de la mort, qui frappe toute chose vivante de l'irréversible destin de mort.

Il m'est aisé de comprendre cette sensibilité-là : pendant de longues années il m'arrivait d'entendre résonner en moi, venue je ne sais d'où, une mélodie infiniment tendre et triste, anxieuse, douloureuse et mélancolique : quelques mots affleuraient quelquefois, qui disaient l'attente d'un personnage aimé, énigmatique, et qui tardait tant à venir que le coeur se brisait de chagrin. Je mis bien des années à comprendre, puis à admettre que mon héros ne viendrait pas. Et même je n'ai jamais su avec certitude s'il était mort, ou disparu, s'il refusait de venir, s'il ne pouvait venir pour quelque raison incompréhensible, mais enfin j'ai fini par admettre qu'il ne viendrait pas.

Cela reste comme un blanc que rien ne peut combler.

Nietzsche, philosophe musicien, comme Schopenhauer ou Rousseau : chez les trois on voit - on entend - cette note princeps résonner en sourdine, et parfois avec violence, clamant la douleur d'exister.

Platon, conscient du statut de mortalité de toute chose, en déduit que "rien de mortel n'est digne d'un grand sérieux". A ce monde sensible frappé d'inanité il opposera les grandes constructions théoriques des Idées éternelles pour sauver la connaissance, la morale, et l'Etat. Solution qui inspirera pour longtemps les esprits sectateurs de l'Etre, de la Substance et de la Permanence, mais que Nietzsche, évidemment, ne peut accepter : il n'existe rien en ce monde qui ne soit mortel, et s'il n'existe pas davantage de monde éternel, il faudra en conclure, contre Platon, que seul le mortel est digne d'intérêt !

La dépréciation nihiliste du monde sensible et mortel se renverse en assomption du devenir, en affirmation de la valeur du devenir. La cloche de Gênes, qui réveillait bien des douleurs anciennes, peut bien résonner à l'envi, le musicien de l'âme saura composer bien d'autres mélodies, pour glorifier l'instant qui va :  

           Muse dis moi la rose à la robe vermeille

           Qui enchante le jour et parfume la nuit,

           Et si la rose meurt une autre s'épanouit

           Rose de mon amour, ô douleur, ô merveille !

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Commentaires
D
Une très belle sensibilité émane de cet article qui rend bien la puissance énigmatique de la musique, capable de charrier le tumulte de nos blessures enfouies, de les sublimer dans la dynamique vitale qui les anime. <br /> <br /> De là deux tendances s'affrontent, l'une régressive qui divise l'esprit et le ramène à l'origine, l'autre aventureuse et folâtre ouverte sur la vie. <br /> <br /> Le musicien, le poète, le philosophe ne choisit pas. Il prend tout et compose avec le Tout de la réalité.Voilà qui fait oeuvre...de vie. <br /> <br /> "Sans la musique la vie serait une erreur", n'est-ce pas ?
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G
Ce Tout, en effet, tentons de l'accueillir dans la pensée et l'oeuvre, à défaut de parvenir à le supporter dans la vie telle qu'elle est. Nietzsche lui-même n'est pas parvenu à être nietzschéen - alors qu'il l'est incontestablement dans sa pensée. Merci pour ce commentaire chaleureux !
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