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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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22 juillet 2020

LES PORTES DE L'EXISTENCE

 

Exister, pour l'être humain, c'est franchir des portes successives, depuis la première qui ouvre sur le monde, jusqu'à la dernière qui ouvre sur le néant.

Le célèbre tableau de Courbet "L'origine du monde" présente de l'extérieur la fente originelle. Mais c'est le point de vue de celui qui a de longtemps franchi le passage, qui fait retour en pensée vers une expérience dont il ne garde aucun souvenir, et qui est proprement irreprésentable. La naissance est le premier trou, le premier blanc autour duquel l'imagination va construire ses mirages. Ce qui manquera toujours, que nulle peinture ne peut faire voir, c'est la représentation de ce dedans, duquel nous sommes expulsés. L'origine du monde c'est moins la fente externe que l'univers humide, chaud et enveloppant qui abrita le foetus au long des mois de la gestation. Il restera toujours dans l'inconscient cette imago archétypale d'une trouée par laquelle un sujet se glisse en douleur pour accéder à une autre forme d'existence.

"Meurs et deviens" - cela s'entend au sens radical. Il faut abandonner un site familier mais étouffant pour se risquer sans garantie dans un autre espace, y réapprendre à marcher.

Ainsi sont les grandes étapes de l'existence : naissance, enfance, adolescence, âge adulte. Et non moins douloureuse l'entrée dans la vieillesse. Les premières, en principe, sont des développements, des accroissements de puissance et d'autonomie. La dernière se voit d'ordinaire comme une diminution, une déperdition, voire une démolition. Perdre sa puissance physique et sexuelle, ou la mémoire, ou le jugement, voilà une bien triste chose. Je m'insurge contre les gens naïfs ou niais qui chantent les beautés de la vieillesse : j'attends de voir ce qu'ils en diront quand ils y seront. Cela dit, on peut concevoir que dans certains cas favorables, en dépit des limitations imposées par l'âge, l'esprit demeuré vif et jeune puisse accéder à une forme supérieure de connaissance : Démocrite centenaire interrogeant le mouvement des nuages, Pyrrhon hantant les antres et les bois, Léonard retouchant amoureusement sa Joconde, Epicure conversant avec ses amis et amies philosophes, Goethe achevant Faust, son testament spirituel.

Je suis moi-même dans cette disposition ambivalente, me lamentant parfois de tout ce que je perds en énergie, en disponibilité, en vitalité, et me réjouissant par ailleurs d'une liberté d'esprit, d'une sagacité dont je ne me fusse point cru capable. Je ne voudrais en rien revenir en arrière, en dépit d'une nostalgie occasionnelle, recommencer ce long travail de parturition, et j'estime qu'au total une seule et unique vie suffit. Certains voudraient vivre cinq ou six vies à la fois, ou successivement, exprimant par là une voracité qui m'est totalement étrangère. Mon seul souhait, si tant est qu'un souhait ait quelque valeur, c'est de finir tout doucement, paisiblement, sereinement ce qu'il me reste à vivre, et de me dissoudre sans reste dans le mouvement universel.

Ceux qui ont fait l'expérience de ce qu'on appelle "la mort proche" racontent avoir pénétré dans un long tunnel sombre, et que, parvenus aux extrémités, ils ont entendu une voix qui les rappelait en arrière, les ramenant vers le monde des vivants. S'ils sont revenus, s'ils sont sortis du coma, c'est que leur heure n'était pas venue. A quoi j'opposerai cette autre tradition, propre aux Amérindiens : quand il estime que c'est l'heure le vieux guerrier se retire dans un lieu écarté, s'assoit en méditation, et sans bouger, sans aucun secours artificiel, attend que vienne la mort. Comment font-ils, je me le demande ! J'aimerais disposer de ce savoir fabuleux par lequel on affirme, plus haute que tout, la suprême liberté !

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Commentaires
J
Bonjour Guy,<br /> <br /> c'est un plaisir toujours neuf de lire tes articles.<br /> <br /> Dure est la vieillesse, mais je ne voudrais pas non plus refaire le parcours - surtout dans les conditions actuelles -, sachant déjà qu'il est pénible de travailler chaque jour pour l'avoir fait.<br /> <br /> J'aime cette notion de portes, ou de sentiers qui bifurquent, qui mènent chez Aldous Huxley (Les portes de la perception), Borges (Fictions), ou Schmitt (La part de l'autre). Bien que ces écrivains n'aient rien dit de celles de l'existence...
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