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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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15 juin 2020

CE NON-ETANT QUE JE (NE) SUIS

 

Ce non-étant que je (ne) suis...

J'ai écrit d'abord : ce non-être. Mais je me suis ravisé. Dire "non-être" est absurde puisque parler est encore une modalité d'être. On ne peut se déclarer non-être. Pour autant il est impossible de se dire "être" si rien ne tient ni ne dure : " d'où tirons-nous ce titre d'être, nous qui ne sommes qu'un éclair dans le cours infini d'une nuit éternelle ?"

"Non-étant" me convient davantage  : étant est un duratif, dire "non-étant" marque précisément l'absence de durée, sans basculer pour autant dans la négation absolue.

On se souvient que le pyrrhonisme avait récusé "to on" (l'étant) et "ta onta" (les étants), estimant que c'était là une chimère, voire une escroquerie métaphysique, pour n'employer dès lors que l'expression : ta pragmata, les choses, les affaires, ce qui se fait (pragma), ce qui vient et qui s'en va, sans aucune notation de durée, de consistance et de substance.

Mais dire : je suis ce non-étant c'est encore trop céder aux usages de la grammaire qui nous oblige à dire : je suis, alors même que l'on a précédemment récusé l'être. Je suis, dans cette nouvelle formulation, n'exprime nullement une prétention d'être, mais marque un rapport : il y a un certain rapport entre celui qui parle (le sujet, je) et la référence au non-étant. Je suis qualifie le sujet, non comme être, mais comme énonciation, redoublée, confirmée par un acte de la conscience. Je prends conscience de moi et je me pose comme sujet assumant le statut du non-étant - dont je peux dire à la fois que je le suis et ne le suis pas, ce qui s'exprime dans le : "je (ne) suis.

Du sujet on peut dire à la fois : il est et n'est pas étant, il est et il n'est pas non-étant.

Ces idées, qui peuvent paraître un peu alambiquées, se vérifient admirablement dans l'épreuve du miroir. Prenons l'image réflétée comme la figuration de l'étant. Ce que je vois n'est évidemment pas de l'être, rien n'est plus fugace, évanescent qu'une telle image, mais enfin ce n'est pas rien. Le sujet qui se regarde peut avoir un moment l'illusion d'être tout entier fondu dans l'image, identifié à elle. Il pourrait dire : je suis cet étant que je vois, mais le disant il s'en sépare aussitôt, pour découvrir qu'en tant que sujet (sujet regardant), précisément, il manque, il n'est pas représenté, il est ailleurs. Il n'est pas l'étant, même, il ne peut l"être" en aucune manière, et sitôt qu'il se veut représenter, il se rate.

J'aimerais traduire cette idée par un modèle optique : au niveau perceptif l'image est plane et pleine, elle remplit toute la surface de la glace. Où est le sujet ? Impossible à situer. Il n'est pas dans l'image. Sauf à se confondre avec elle, à s'identifier et à s'aliéner, il opère une trouée, perforant la surface, dans un mouvement d'effraction, de traversée, de libération, affirmant, contre toutes les figurations possibles, un au-delà irréductible, une échappée. La qualité propre du sujet est de refuser toute réduction à l'étant : ce non-étant que je (ne) ne suis.

Traverser le miroir ! Mais aussi : traverser le fantasme, traverser les identifications, les idéaux, les dogmes et doctrines de toute farine. Et du coup renoncer à toute définition et chosification. Cela se peut lorsqu'on comprend que toute tentative pour se saisir de soi est une quête fastidieuse et vaine. Le but n'est pas de se reprendre et comprendre, mais de se déprendre.

C'est la conclusion d'un soûtra fameux de la tradition bouddhique (Soûtra du Coeur) :

            "Aller, aller, aller ensemble

            Au-delà du par-delà

            Sur la rive de l'Eveil".

C'est très beau, mais il n'existe aucune rive de ce genre, ni de paradis de l'Eveil. C'est, très prosaïquement, la fin des identifications.

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Le sujet ne peut pas être saisi car ce n'est pas un objet. Si on pouvait saisir le sujet il serait un simple objet. La rive de l'Eveil est donc de l'autre coté des objets.
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