LE VISAGE ORIGINEL : méditation

Le sage d'entre les sages a dit : "contemplez votre visage originel".

Chacun, a contrario, mesure aisément, s'il n'est pas trop naïf ou trop orgueilleux, combien, par la force des choses, ou par méconnaissance, il s'est écarté de sa propre nature, et comment, de concession et concession, il a perdu le contact avec son être originel. En termes psychologiques il a troqué le vrai self pour un faux self (Winnicott), qui, à la manière d'une tangente, s'est développé monstrueusement en s'éloignant à mesure de l'axe primitif. Déclinaison fatale, inclinaison et dérivation. Au terme de cette évolution on aura le sentiment de n'avoir pas vécu sa propre vie, mais celle d'un autre qui nous aura dévoré.

Cela dit il est bien difficile de savoir ce que pourrait bien être le visage originel. Serait-ce celui de l'enfance ? Mais en quoi ce visage de l'enfance serait-il plus authentique ? Et pourquoi ne pas remonter plus haut encore, et imaginer, dans une sorte de fantasme régressif, un visage prénatal, en gésine : certes il n'est pas encore aliéné par la culture et les exigences sociales, mais voilà, ce n'est pas du tout un visage.

Un visage n'est pas un fragment quelconque du corps, un visage n'est visage que dans le mouvement vers la lumière. Lorsque la lumière, celle du jour, ou celle du regard d'autrui, vient au-devant du visage, le visage devient visage : en réponse à la lumière il vise la lumière, il s'ouvre au rayonnement de la lumière, se fait surface lumineuse.

La chose est frappante chez les tout-petits : souriez, projetez votre sourire vers leurs yeux, leurs yeux s'allument, et le visage tout entier se fait lumière.

Le visage originel, c'est peut-être quelque chose de cette sorte : non pas une donnée historique, une image d'un état antérieur que l'on s'épuiserait en vain à retrouver, mais, aujourd'hui, et dans tous les temps, la lumière immémorielle, toujours actuelle, bien qu'oubliée, négligée, refoulée, inapparente, mais susceptible de surgir à nouveau.

Lumière d'une conscience plus vaste, qui plonge dans toutes les directions du temps, illumine l'espace, nous tire en dehors des limitations ordinaires. Bien sûr cela ne se programme pas, ne se donne pas au vouloir ou au savoir, cela vient quelquefois, et puis s'en va, revient encore. Météorologie : notre esprit est comme le ciel, où tantôt brille la lumière, tantôt tout s'obscurcit, et le plus souvent c'est un mélange. On n'y peut rien changer. Il suffira qu'ayant fait l'expérience de la lumière, dans les ténèbres mêmes on garde souvenir du soleil, et qu'au milieu des nuages on reste fidèle à son rayonnement.

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La personne est le visage humain du Soi, il n'y a rien de faux en ça. Les rayons du soleil ne sont pas faux mais la prolongation naturelle du soleil lui même.