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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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4 juin 2020

GUERIR LA SOUFFRANCE : Diogène d'Oenanda

 

Diogène d'Oenanda : "J'ai voulu, en utilisant ce portique, mettre en public les remèdes du salut que nous avons mis entièrement à l'épreuve. Car nous nous sommes libérés des peurs qui nous tenaient sans raison sous leur emprise, et parmi les souffrances, les unes, les vaines, nous les avons totalement extirpées, les autres, les naturelles, nous les avons rendues toutes petites en réduisant leur quantité jusqu'au minimum".

J'ai déjà eu l'occasion, dans des articles plus anciens, de saluer l'oeuvre de cet auteur original de l'épicurisme tardif, qui eut cette idée innovante de faire construire, à ses frais semble-t-il, un mur de quatre-vingt mètres de long et quatre de haut, portant tout du long des inscriptions d'inspiration épicurienne. C'est, à côté de Lucrèce et de Philodème, la présentation quasi exhaustive de la doctrine du maître. Il y traite des principaux articles de la physique, de la canonique et de l'éthique.

Dans le passage cité il est question de deux sources du malheur : la peur et la souffrance. 

On sait que pour Epicure les deux formes principales de la peur sont la peur de la mort et la peur des dieux. Ces analyses sont assez connues, il n'est pas nécessaire d'y revenir. Chacun jugera s'il est possible ou non de se libérer de ces peurs-là, qui taraudent la plupart des hommes, sous une forme ou une autre. Remarquons simplement que Diogène déclare qu'elles nous tiennent "sans raison" - peurs irrationnelles par conséquent, dont la droite raison devrait venir à bout par l'examen attentif des lois de nature.

Le texte nous invite ensuite à distinguer deux formes de souffrance - les vaines et les naturelles. Les souffrances vaines sont, comme pour la peur, liées à l'affolement de l'imagination, déterminé par le désir illimité. On se représente une durée illimitée (l'immortalité), une jouissance illimitée, alors que la réalité même nous enseigne les bornes infrangibles de notre vie et de notre puissance. De ces désirs il est possible, en principe, de se libérer, "en les extirpant totalement"  - ce dont je doute quant à moi, lorsque j'observe le comportement humain. Les réduire, c'est déjà beaucoup, et il n'est peut-être pas souhaitable d'exiger davantage.

Restent les souffrances "naturelles", qu'on ne peut éviter, comme les douleurs de l'âge et de la maladie, les deuils, les malheurs de toutes sortes qui nous accablent au cours de la vie. On ne peut les éviter complètement, mais on peut travailler à en réduire la charge émotionnelle, l'effet délétère, le retentissement. Par exemple détourner l'esprit vers des représentations plus heureuses, éviter de ruminer ou de geindre, ne pas accuser injustement, rester digne et amical. Hygiène mentale, discipline de la pensée.

On peut toujours suspecter Diogène d'optimisme ou de naïveté. Nous savons aujourd'hui que dans les affaires humaines la raison ne peut pas tout, qu'elle n'atteint pas à la source obscure des angoisses et des souffrances, pour lesquelles il faut d'autres moyens : l'inspection psychologique, et fort souvent, une pharmacopée adaptée. La souffrance est hélas une donnée incontournable de la vie, souvent inutile, toxique, destructive, néfaste à tous égards. Mais d'un autre côté elle accompagne le jeu naturel des besoins, de l'adaptation, des transformations corporelles et psychiques. Les supprimer radicalement relève à la fois de l'impossible et du non-souhaitable. Ce n'est pas une raison, nonobstant, pour la glorifier pour elle-même, ou d'y voir la voie royale vers le salut éternel.

Observant de plus près, on voit que le premier moment de l'émotion, effet-surprise, choc ou trauma, est rigoureusement incontrôlable. Suit ordinairement un afflux de sentiments intenses, de souvenirs, de représentations, d'idées ou d'actions sur lesquels un certain contrôle est possible : on peut réfréner la colère, raisonner la peur, réduire la souffrance - si toutefois l'ébranlement n'excède pas une certaine intensité. On peut apprendre à discipliner l'émotion, comme le fait l'acteur ou l'homme public. Mais, encore une fois, certaines intensités restent ingérables et nécessitent d'autres moyens thérapeutiques.

Soyons reconnaissants à l'épicurisme d'avoir introduit dans la philosophie, malgré l'insuffisance de ses analyses, un souci très concret et toujours actuel de la souffrance et de ses remèdes.

 

 

 

 

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Commentaires
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Je recommande l'excellent documentaire " the last shaman " sur netflix. Il est question d'une adolescent très dépressif qui part en Amazonie pour se guérir. Le retour à la nature sera un des moyens thérapeutiques...
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