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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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29 mai 2020

DU PESSIMISME, et de Schopenhauer

 

Schopenhauer, par la noirceur de certaines de ses analyses, s’est taillé une solide réputation de pessimiste : il n’y a rien à attendre de l’histoire, du progrès des techniques et des sciences, de la politique encore moins, les hommes étant ce qu’ils sont, dominés sans le savoir par l’aveugle vouloir-vivre. Mais ces propositions ne sont pas, au sens strict, pessimistes. Elles disent simplement, comme l’Ecclésiaste : rien de nouveau sous le soleil, tout changement n’étant qu’une variation superficielle, un peu d’écume scintillant à la surface de l’océan.

Si l’optimisme est l’affirmation du meilleur (à venir), le pessimisme, selon son étymologie, affirme le pire, qui ne saurait tarder. Les deux positions, pour être inverses, n’en sont pas moins similaires, de même structure, en posant une certaine orientation du temps, une tension entre le présent, insatisfaisant et douloureux, et l’avenir – mirifique pour l’optimiste, totalement calamiteux pour le pessimiste. L’un attend le paradis, l’autre l’enfer, et tous deux une fin des temps.

Je disais : l’optimisme est une maladie de la finalité. J’en dirai autant du pessimisme. Pour les deux il faut en somme que le temps finisse, que l’histoire du monde s’achève. Nietzsche y verrait sans doute un symptôme de fatigue, la difficulté à soutenir plus avant le caractère incertain, flottant ou décevant de l’existence. Et pourquoi, pourrait-on dire, voulez-vous en finir ?

Pour être plus précis dans notre appréciation de Schopenhauer il faut bien concéder que notre philosophe hésite entre deux positions. Selon la première il verse lui aussi dans le pessimisme en recherchant une solution à la dictature du vouloir-vivre, imaginant une triple méthode pour parvenir à la négation : l’art comme suspension du vouloir, la pitié comme dépassement de l’égoïsme,  l’ascétisme comme retournement du vouloir contre lui-même. Confessons que cette triple analyse, qui devait mener à la libération, ne convainc guère, et que notre homme n’en donne pas une illustration bien convaincante, à lire l’histoire de sa vie. Moi-même je ne puis concevoir comment la toute-puissance du vouloir-vivre, qui détermine la vie universelle autant que la psychologie humaine, pourrait se retourner contre elle-même, se nier dans une espèce d’holocauste terminal. A contrario, ces perspectives finalistes et millénaristes nous montrent clairement les forces qui sont ici à l’œuvre : forces réactives, aspiration à la fin, nihilisme ou pulsion de mort.

Mais il y a autre chose, qui soutient en filigrane cette œuvre de pensée étonnante. Ce qui revient sans cesse c’est la conviction de la mêmeté : les choses sont toujours les mêmes, mais autrement. En considérant l’histoire on peut soit privilégier le changement (dans les mœurs, les événements, les modes etc) soit y lire la constance, la répétition, l’identité, inapparente mais décelable : toujours les mêmes passions, les mêmes sources de conflit, et sous les costumes qui changent les mêmes personnages pulsionnels. L’histoire ne nous enseigne nullement qu’il y aurait une solution, un âge d’or à venir – et cela Schopenhauer l’affirme précisément au moment où en Europe on s’emballe pour le progrès, les perspectives rayonnantes du socialisme ou de la société sans classe – opposant un scepticisme rationnel à la nouvelle religion sociale. Le monde est le monde, conduit par le vouloir, aveugle, sans projet, sans finalité, éternellement identique à soi alors même que ses manifestations peuvent varier, comme on le voit dans l’apparition de nouvelles formes de vie, qui dans leur structure, leur soif d’exister et de se reproduire, sont fondamentalement identiques aux précédentes.

L’intelligence qui peut concevoir tout cela, et le sentiment qui balance entre l’admiration et l’accablement, que feront-ils au spectacle de la nature et de l’histoire humaine ? Voyant qu’il n’y a nulle issue possible, nulle libération, que les choses sont et seront éternellement les mêmes, que fera-t-il, l’esprit contemplatif ? Il observe, il analyse, il comprend. Ce n’est pas exactement le bonheur, c’est une satisfaction plus élevée que le bonheur, encore que fort incomplète, et qui ne va pas sans douleur. Disons, c’est le plaisir contemplatif.

Et puis il y a la musique, le premier des arts selon Schopenhauer. Celui qui, sans paroles, nous met directement à l’unisson du vouloir, comme si la même volonté avait produit corrélativement et parallèlement deux modalités distinctes : le monde et la musique. De sorte que ce monde ,dont Schopenhauer avait si amplement analysé la douleur, trouvait dans la musique une sorte de légitimation éternelle, une transposition esthétique. D’un penseur qui jouait à la flûte, chaque matin, du Rossini et du Mozart, on ne peut penser qu’il fût pessimiste. La musique est la réfutation de la douleur.

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Commentaires
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Le nihilisme ( Schopenhauer n'est qu'un exemple ) est la conséquence d'une série de blocages dans le psychisme. Ces blocages sont comme des noeuds dans l'inconscient qui empêchent le flux de l'énergie vitale ou de la force vitale et peuvent avoir de nombreuses origines souvent culturelles et parfois génétiques : problèmes dans l'enfance, problèmes dans le couple, insatisfactions professionnelles, maladies, mauvaises habitudes alimentaires etc..<br /> <br /> Par analogie on peut comparer l'homme à un arbre. Pour grandir l'homme à besoin d'eau, de lumière, de chaleur et de bonne terre et l'insuffisance ou l'absence d'un ou de plusieurs de ces éléments aura des conséquences sur sa croissance.
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J
Bonjour, et merci pour ce second volet.<br /> <br /> Tiens, je suis aussi affecté de ce goût immodéré pour la musique, depuis tout petit, oreille collée au mystérieux cadran du poste à lampes familial qui recevait si mal dans la vallée du Tarn près d'Albi.<br /> <br /> Si ça se trouve on peut compenser son pessimisme par la musique...<br /> <br /> (Vidéo de Norma et quatuors de Beethoven en ce moment...)
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S
Le pessimisme, contrairement à ce que s'imaginent les têtes plates, n'est pas un tempérament, mais la claire vision que tout ce qui existe n'a aucune finalité : ni POURQUOI ni POUR QUOI. Tout arrive selon le hasard, la pire des causes — causa pessimi —, aussi bien ce qui, à nos yeux, a de la valeur et n'en a aucune. S'il le pessimisme est une maladie de la finalité, c'est au sens où l'entendait Nerval quand il parlait de la mélancolie: "une maladie qui consiste à voir les choses comme elles sont" — et comme elles ne sont pas, ajouterai-je quant à moi.
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