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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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20 mai 2020

DE l'USAGE DE LA PHILOSOPHIE : méditation

 

Combien de fois me suis-je récité à moi-même le début du Faust de Goethe, où le héros fait l'amer bilan de son aventure intellectuelle : philosophie, théologie, médecine, "juristerie" - il a étudié toutes les disciplines, tout au long de sa vie, "avec ardent effort",  et pourtant il conclut tristement : "et me voici, pauvre fou, tout aussi sage que devant". Mais, passant contrat avec Méphistophélès, Faust bénéficiera d'une seconde jeunesse : alors, laissant les livres, il va courir le vaste monde, espérant que l'action lui octroiera ce que le savoir lui a refusé.

Je sais, moi, qu'aucune puissance céleste ou démoniaque ne viendra m'offrir une seconde vie, et je devrai, comme tout un chacun, me contenter de celle-ci. Ce que je n'ai ni compris ni réalisé, voilà qu'il est trop tard pour s'y mettre. Montaigne notait avec humour qu'en sa vieillesse il se sentait partir par petits bouts, si bien qu'au final la mort n'aura plus grand chose à se mettre sous la dent. Les fonctions s'affaiblissent inexorablement, et ce que je faisais hier encore, aujourd'hui me semble hors de portée : marcher loin et haut, courir, tenir une distance, soutenir une conférence, parler longtemps, tout cela me fatigue de plus en plus, et avec la fatigue vient l'ennui, sa compagne. Je n'étudie plus guère les philosophes : un discours soutenu m'assomme, et puis très vite je me demande ce qui pourrait motiver tant d'effort - avec un résultat si mince. Aussi je préfère choisir de ci de là un court extrait, quelque sentence ou apophtegme, dont la riche concentration me nourrit abondamment. Tout cela pourrait tenir en un unique volume, quintessence de la sagesse universelle, fontaine inépuisable de jouvence.

Plus profondément j'en viens à penser qu'il n'y a rien à chercher, rien à trouver, en quoi je rejoins au bout du compte les auteurs que je signalais plus haut. Ceux-là ne dogmatisent pas, ne donnent ni leçons ni conseils, ils font voire ce qui est, nous mettent tout nus devant ce qui est, et disent : débrouillez-vous ! Comme chacun, sait les conseils ne valent que pour ceux qui les donnent. Eux, depuis longtemps, n'ont que faire de conseils pour eux-mêmes,  et savent bien qu'il est vain d'en donner à autrui. 

Ceux-là se font beaucoup d'illusions qui croient trouver dans la philosophie des remèdes à l'inconfort de vivre. Ce ne sont là que des expédients destinés à séduire le profane, à l'engager, par une sorte de "mensonge pieux", à changer de vie, à laisser les appâts de la convention et de la facilité, à entreprendre le difficile voyage de la pensée. Mais s'il accepte de courir tout au long de la course, il débouche, s'il est des meilleurs, sur la lande désertée du non-savoir où toutes les opinions et croyances vont irrémédiablement se dessécher, s'émietter et finir en poussière.  On se retrouve alors au point de départ, natif et nu, tout en sachant qu'il n' y aura pas, comme pour Faust, de second voyage.

Cette nudité-là je la vois dans Lao-Tseu : "L'homme ordinaire augmente tous les jours/Le sage diminue tous les jours". Il diminue tant qu'à la fin il rejoint l'état originaire, celui qu'il n'aurait pas dû quitter, qu'il a bien fallu quitter pour vivre dans le monde, et qui ne serait pas, comme dans le monde, du semblant.

Oui, les grandes pensées d'Orient et d'Occident nous mènent jusque là. C'est leur véritable, incomparable apanage. Mais dans la plupart des cas nous nous arrêtons à mi-chemin, nous nous laissons enchanter ou berner par des aperçus intermédiaires, des injonctions ou des promesses qui ne sont que des appels, des incitations à lever l'ancre, qu'il ne faudrait pas prendre pour des énoncés de vérité. J'en vois une belle illustration dans Bouddha : pour disqualifier l'existence qui se roule dans les anneaux du samsâra il fait miroiter le beau pays d'au delà, de l'autre rive. Il faut bien motiver le malheureux attaché à sa roue, susciter le désir de l'ailleurs. Mais plus loin il ne cessera de mettre en garde : cette image n'est qu'une image, il faudra s'en détacher aussi, y renoncer : le nirvâna n'est pas un paradis céleste, c'est l'extinction de tous les attachements.

Je suis parti de Faust, et voilà que j'ai décrit une courbe qui me ramène au point de départ : pas tout à fait cependant car le temps a passé, et il est bien évident qu'on ne revient jamais en arrière. Faust ne redeviendra pas un jeune homme. Et cet homme vieillissant sait bien qu'il marche inexorablement vers son annihilation. Le retour dont je parle, la courbe qui ramène à l'origine est celui ou celle du temps psychique, temps intérieur indépendant des montres et des horloges, qui suit sa propre logique : chez la plupart elle se cale à peu près sur le temps officiel, social, conventionnel ; chez quelques-uns elle décrit un itinéraire tout autre, à la recherche non de quelque vérité extérieure et communicable, mais de l'origine perdue, de l'authenticité perdue, dont aucune formulation ne saurait rendre compte. Voilà pourquoi toute sagesse rigoureuse débouche sur le silence.

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Commentaires
J
Ce n'est pas la dead line, le point de non retour, de votre ultime sagesse. Mais une étape en éternel retour qui vous ramènera demain vers les grecs . Plus le corps se démunit, plus l'esprit s'allège , non ?
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