DE L' ESPACE TRANSITIONNEL (2)

Transitionnel et virtuel : quel rapport ?

Transitionnel désigne le passage d'un état jugé insuffisant ou immature vers un autre état désirable ou supérieur. Ce passage s'inscrit dans un espace-temps original, entre ce qui n'est plus et ce qui n'est pas encore. Pour affronter la douleur de la perte et l'angoisse de l'inconnu, le sujet se rapporte à cet objet singulier, objet transitionnel, ou fétiche, ou objet contra-phobique, par lequel il se réassure de soi, maintenant le contact (métonymique) avec ce à quoi il est tenu de renoncer. J'ai lu quelque part que Jean Paul Sartre ne sortait jamais de chez lui sans avoir fourré au préalable deux paquets de cigarettes dans la poche de son veston.

Pour constituer la structure du transitionnel il faut trois termes : un espace, un temps, un objet. Quant au sujet il passe  le plus souvent sous la barre du processus pour ne se représenter que sous les espèces de l'affect, ou du symptôme. Toute la question est de savoir si le sujet veut la transition ou s'il s'y résigne : voyez les crises de larmes, chez certains enfants, à la porte de l'école, quand d'autres s'y précipitent dans la joie.

Je devais avoir quatre ou cinq ans. Ma tante m'avait placé sur le siège arrière de son vélo pour me porter à l'école maternelle. A peine m'avait-elle extrait du siège et posé à terre, que je prenais mes jambes à mon cou, fuyant et courant pour revenir chez moi, retrouver au plus vite les jeux familiers, et mon ami le chien. Ma tante courait à la suite, bien sûr rattrapait le petit diable, et ne savait plus quoi faire de lui ! Je crois bien me souvenir qu'elle renonça bien vite, et me ramena  : j'avais gagné, on me laissera à la maison. 

L'entrée à l'école primaire fut encore plus catastrophique : là il n'était pas d'échappatoire possible. La dimension transitionnelle manquait cruellement, si bien que l'école ne fut qu'un long martyre. La seule fois où je sentis qu'un accord entre moi et cette funeste institution était possible ce fut lors de la présentation d'un objet personnel que j'avais réalisé et qui fut exhibé à l'ensemble de la classe. Avec mon meccano j'avais construit la porte d'un château-fort doté d'un pont levis que l'on pouvait faire monter et descendre avec une ficelle enroulée autour d'une manivelle. Ce jour-là, celui qui se terrait au fond de la salle, mutique et apeuré, se révélait soudain capable d'innovation ! Pour le reste je n'ai que des souvenirs de tristesse et d'ennui.

Ce qui manquait manifestement c'était la dimension symbolique. Dans le milieu social où j'étais placé on ne parlait guère, on ne se plaignait jamais, on ne pleurait jamais, on n'expliquait rien, surtout aux enfants. Il fallait s'adapter voilà tout, encaisser et se taire. Stoïcisme paysan, rigueur morale, vertus de courage, d'abnégation : sustine et abstine. La conséquence : ça passe ou ça casse. Moi ça m'a plutôt cassé.

L'espace transitionnel, pour moi, ce fut la culture gréco-latine, littéraire, artistique et philosophique. Ce fut ma véritable naissance, qui relaya tout ce qui avait précédé dans une sorte de chaos informe, de Tartare, de néant symptomatique. Je frémis à l'idée de ce qu'aurait été ma vie si je n'avais connu, vers onze ou douze ans, cette miraculeuse naissance !

Oui, Winnicott a raison : la culture, quand elle est désirée, aimée, cultivée avec plaisir et délices, est la forme la plus accomplie de l'espace transitionnel, ou encore, il faudra y revenir, la réalité virtuelle par excellence, qui relie l'univers du désir à l'univers réel, sans se réduire ni à l'un ni à l'autre. Un tiers-univers, avec ses propres règles, et qui offre des satisfactions supérieures, en principe accessibles à tous.

Comments

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De la maternelle à la retraite, tout est fait pour conditionner et faire de l'homme un être docile et productif, un esclave du système.

Même la pensée matérialiste et scientifique, très à la mode à notre époque, et qui nous sert de référence absolue, est un programme mental imposé que nous devons hacker pour explorer de nouveaux horizons.