REMARQUES SUR L'ACTUALITE

Dans la dureté des temps, je vois deux attitudes possibles : se détourner, se dis-traire, se di-vertir, ou regarder en face, observer, s'interroger. Je pratique tantôt l'une, tantôt l'autre, mais au total aucune ne satisfait. Je peux bien m'évader dans les siècles passés, goûter telle oeuvre littéraire ou artistique, m'y livrer avec délice, il faut bien revenir, et l'actualité m'y ramène sans pitié. L'observation "scientifique" est tout aussi décevante, car si l'on peut bien trouver quelque raison à la réaction pathétique des hommes, à cet emballement général, on se demandera, au bout du compte, s'il y a quelque chose à comprendre : des virus ont toujours existé, il y en aura encore et encore. Qui a dit que la biologie et la médecine pourraient prévoir et annihiler toutes les nuisances potentielles, éradiquer toutes les maladies ? Qui a dit que nous serions "comme maîtres et possesseurs de la nature" ?

Les épisodes de grippe ont tué des millions de gens. Qui s'en émouvait ? Et voilà qu'aujourd'hui on se scandalise d'une épidémie, certes maligne, mais qui ne diffère pas beaucoup des précédentes. Où donc est le changement ?

Je vois que par le passé l'humanité tolérait facilement les hécatombes comme si la vie de la plupart n'avait guère d'importance. Que la guerre ravage les villes et les campagnes, que la peste emporte le tiers de la population, que la grippe, ou la canicule, extermine des milliers de personnes, c'était en quelque sorte dans l'ordre des choses, c'était la fatalité, la loi de nature, ou la volonté divine. Aujourd'hui, pour la première fois peut-être, on s'insurge, on refuse, on se scandalise : on a cru, voulu croire, que cela ne pouvait plus arriver, que la science triompherait de toutes les calamités naturelles, que le règne de l'Homo deus était assuré et confirmé.

Je vois que les dirigeants sont exposés autant que les roturiers : voilà une égalité nouvelle qui rappelle l'égalité devant la mort. La loi de nature qui se joue de la loi des hommes.

Encore une remarque : cette affaire apporte un démenti cinglant aux programmes délirants du transhumanisme. Vous rêviez de vivre jusqu'à cent cinquante ans, de transplanter un ordinateur dans votre cerveau pour multiplier vos capacités cognitives, vous rêviez de multinationales gérant la santé publique, l'administration et la vie privée, et voilà qu'un misérable virus de quelques microns vous précipite à quarante ans dans la tombe ! Où est la parade ? 

Par contre je redoute pour demain un surcroît de contrôle : toutes ces machines infernales que nous avons inventées pour faciliter la communication traceront infailliblement vos itinéraires, vos déplacements, vos rencontres, vos goûts et dégoûts, vos choix politiques, vos consultations médicales, et bientôt les algorythmes en sauront plus sur vous que vous-mêmes. Et je vois que certains, sous prétexte de sécurité, sont déjà acquis à cette singulière société de surveillance universelle, et parfois en redemandent ! Mais quel monde est-ce là ? Sous prétexte de sécurité on va scandaleusement étouffer le peu de liberté qui reste aux malheureux que nous sommes !

En philosophe je dirai : par tous les moyens, pour sauver l'illusion de puissance, on veut cadenasser le réel, l'expulser hors de la représentation. Tous les moyens, étatiques et scientifiques, sont convoqués à cette entreprise générale de mobilisation pour enrayer les risques, lisser les conduites, faciliter la prévision, expulser le négatif. Le transhumanisme, dans sa paranoïa pathétique, livre la clé de cette logique : vaincre la mort. On peut toujours essayer, le résultat ne fait pas de doute.

Comments

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Après en avoir bien parlé, mieux vaut se détourner complètement comme le ferait tout maître taoiste et revenir aux belles choses.