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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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1 avril 2020

SUR LE SYMPTOME DES ECRIVAINS

 

 

Un symptôme considéré en soi ne signifie rien. Il prend sens et valeur en fonction de la force qui l'anime, le traverse, s'en empare, et dans les cas favorables l'élève à la dignité d'une oeuvre d'art. Prenez les comportements ritualisés des écrivains. De l'extérieur on les jugera misérables ou ridicules. Tel Simenon qui ne pouvait écrire s'il n'avait une quantité précise de stylos à portée de main, minutieusement rangés en ordre de bataille. Ou Gogol disposant une marmite d'eau chaude sous son bureau pour y tremper ses pieds. Victor Hugo, à ce qu j'ai cru comprendre, se mettait en train pour le sublime après avoir vociféré une série impressionnante d'obscénités. Ce dernier cas me semble particulièrement délicieux. Plus  prosaïquement Thomas Mann, pour se désinhiber, buvait un verre de cognac. Immanuel Kant fumait sa pipe du matin, expérimentant, comme je fais, que les  neurones, stimulés par la nicotine, facilitaient l'exercice de la pensée et la pratique de l'écriture.

Ces petites manies ont leur raison d'être : privez nos écrivains de leur drogue ou de leur rite journalier, vous les condamnez à la stérilité. C'est dire aussi que l'acte d'écriture n'a rien de naturel, il procède d'une sorte de forçage, au moins pour la mise en route, car après ce début problématique, en général les choses coulent avec facilité. Il faut débloquer la machine, la débrider comme on débride une voiture ou une machine à laver. La pensée dépend du fonctionnement cérébral comme la digestion dépend des organes abdominaux. A chacun le soin de trouver le bon régime. J'expérimente depuis longtemps la juxtaposition de deux régimes contraires, qui semblent s'exclure, mais qui en réalité cohabitent assez heureusement. Le régime "bas" - détente, rêverie, imagination molle et fuyante, labilité et fugitivité. Le régime "haut" - concentration, intellection, raisonnement, et parfois plus haut encore, des intuitions fulgurantes, des associations d'idées imprévues. Mais cela est rare, en temps ordinaire je suis un songe-creux, rêvant ma vie plus que je ne la vis, quasiment inapte à tout effort. N'était l'écriture je passerais assez aisément pour un imbécile.

On pourrait transcrire tout ce que je dis là en variation d'ondes cérébrales. Je baguenaude dans l'existence en ondes alphas, un peu plus que la moyenne, comme les enfants qu'on voit rêvassant, le pouce dans la bouche. Mais je passe aisément en ondes bêta lorsqu'il faut réfléchir et agir, car enfin j'ai la conscience de la réalité et de ses exigences. Ecrivant, je suis parfaitement réveillé, attentif et concentré, mais je ne sais comment expliquer la chose, il me semble être en relation avec ce fond inconscient ou demi-conscient qui constitue le fond de ma nature, et qui s'exprime habituellement en ondes alpha. C'est peut-être le régime ordinaire des artistes, dont on dit assez justement qu'ils tirent leur inspiration des profondeurs de la psyché.

Cette rapide analyse nous fait voir qu'il ne faut pas s'obnubiler sur la question du symptôme, et encore moins sur celle de la normalité. Un artiste est forcément a-normal, hors norme, car s'il possède une norme c'est celle qui naît de sa singularité. Mozart était dépensier, farceur, espiègle, inconstant, infantile - soit, mais c'est Mozart. De bonnes âmes eussent aimé qu'il fût sérieux et tempéré, mais l'eût-il été qu'il ne serait peut-être pas le compositeur qu'il fut. La norme de Mozart c'est d'être Mozart.

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