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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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31 mars 2020

L' ART ET LE TEMPS

 

Certains estiment que la fonction de l'art est de protester contre le temps qui emporte tout, en élevant des oeuvres qui résistent, qui durent, qui défient les siècles. C'est la logique qui présida à l'édification des pyramides, des temples ou des cathédrales - sauf qu'avant d'être des oeuvres d'art ce sont des monuments religieux et politiques, à la gloire des dieux et des rois. Mais les rois passent, et les dieux à leur suite, reste enfin le monument lui-même dont nous décidons qu'il est une oeuvre d'art.

Les pyramides elles mêmes, et les cathédrales, finiront par passer, et l'humanité, inexorablement.

"Vanité que la peinture" disait Pascal, oui, vanité comme toutes les choses humaines. On peut toujours défier le temps, c'est la grimace d'un enfant vaniteux, présomptueux et ignorant.

Je suis, dans un tout autre registre, fort attaché à la formule d'Aristote : "l'art mène à son terme ce que la nature est incapable d'achever, d'autre part il imite". J'y vois une invite à considérer la nature non pas du dehors - ce qui génèrerait une imitation purement formelle et conventionnelle - mais du dedans en épousant autant que faire se peut le mouvement intérieur, dont nous trouvons l'esprit dans notre propre nature : forces pulsionnelles, émotions, désirs, passions, comme ont su le faire si admirablement les poètes tragiques, d'Eschyle à Racine. Et bien sûr les poètes lyriques. La notion d'imitation donne lieu à de fâcheux contresens, que l'on peut dissiper en rappelant le lien entre imitation et mime (mimesis) : mimer c'est agir par le corps et la parole, le mouvement et le geste, pour faire voir, entendre ce qui est donné comme tel dans la nature, que nous ne voyons pas ou n'entendons pas en raison de notre distraction. Le mime sélectionne un élément qui lui semble précieux, et le donne à voir en révélant sa nature. Il n'est pas question, ici, de s'insurger contre le temps qui passe, tout au contraire on se coule dans le temps, on agit de concert avec le temps, en ajoutant du temps au temps, en redoublant le temps : le temps de la chanson s'aligne sur le temps du chant d'oiseau, le redouble, surajoute au temps naturel un tempo mélodique, avant de se dissoudre à nouveau dans le temps universel.

Il faut aimer le temps pour être un musicien ou un poète car sans lui aucune composition n'est possible. Et si par ailleurs on souffre, comme tout un chacun, de l'impermanence et de la fugitivité, dans la composition au moins on retrouve une sorte d'accord fondamental, de consentement lyrique, d'approbation éthique. C'est pourquoi l'homme n'est vraiment heureux que dans l'art - comme l'a vu Schopenhauer - parce que dans l'art, surtout si l'homme est créateur, il jouit d'une sorte de réconciliation métaphysique : dans l'art, et par l'art, l'homme peut dire "Oui" au destin. C'est ainsi que j'entends le fameux Amor Fati de Nietzsche, qui en dehors de cette sphère me semble une absurdité.

Voilà pourquoi, selon ma complexion personnelle, je suis si sensible à la musique et à la poésie, plus qu'à la peinture ou la sculpture. Musique et poésie sont des arts essentiellement temporels. Celui qui s'y adonne entre subtilement dans le mouvement intérieur, ou si l'on veut, dans l'énigme de ce que Bergson appelait la durée.

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