LETTRE A HOLDER, poème
Je me permets de t'appeler par ton surnom, Holder,
Ce beau surnom que te donnaient tes amis,
Et quand tu traversais la salle, disaient-ils,
On eût dit Apollon marchant parmi les hommes,
Beau, grave, pensif et souverain,
Mais tes amis, un à un, t'ont délaissé,
Toi tu suivais, sans regarder de droite ou de gauche,
Ta route d'ombre et de lumière, fidèle
A ce pressentiment, à cette loi de feu
Qui consume le futile
Qui mène, dans l'extrême du péril,
A ce qui n'eut jamais de lieu.
Plus tard, brisé de trop de violence,
Dans la chambre haute sur le Neckar
Reclus tu regardais le mouvement des jours
Les nuages, l'orage, les éclairs,
Parfois tu te perdais dans les chemins
Tu oubliais jusqu'à ton nom,
Je t'appelais jadis "noble frère du Rhin".
Toi d'un côté, et moi de l'autre,
Et j'avais tant à dire, à penser, à rêver,
Et j'étais déchiré
Une moitié de moi s'était perdue
Je ne sais quand, je ne sais où,
Assis sur les berges du grand fleuve
Mon esprit s'en allait par de là
Bien au-de là de toutes les frontières,
Je haïssais ce monde divisé, éclaté,
Je cherchais la plus haute lumière
Le fleuve, de la source à la mer,
Va, intarissablement,
Les eaux sans fin s'écoulent, recommencent,
Toujours les mêmes ni les mêmes,
Et si nous chantons ce qui passe,
Et si nous-mêmes nous passons,
Tout s'efface, rien ne passe.
Va mon âme, si tout passe
Laisse aller, comme le fleuve va.