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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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2 mars 2020

DU NOM ET DU PRENOM

 

Je regarde mon nom et mon prénom sur la page de garde  de mon blog - et je m'étonne : quel rapport, me dis-je, entre ce que je suis en moi et pour moi, et ces lettres, ces syllabes, ces inanités sonores, censées me représenter en vérité ? Si l'on m'avait affublé d'un autre nom, d'un autre prénom - ceux que je porte m'ayant toujours semblé inadéquats - si je m'appelais Dupond ou Dupont, ou Grant ou Sternberg, Antoine ou Stanislas, ma vie aurait-elle été la même ? Quel rapport, en somme, entre l'être que je suis, ou que je m'imagine être, et ces dénominations purement verbales et conventionnelles ?

D'abord, convenons que ces dénominations ne représentent pas, ne figurent pas comme feraient un tableau, un portrait, un miroir. Dans un miroir on se re-connaît : que l'on déteste ou admire cette image, qu'on se laisse séduire ou effrayer, il n'en reste pas moins que, sauf pathologie sévère, on ne doute pas de l'identité de celui qui y est exposé. Je veux bien que l'image déforme, que la droite passe à gauche et que l'on ne voie pas la profondeur, ni l'arrière, mais c'est bien moi que je vois, ce n'est pas un autre : j'y suis, j'y reste, et tant pis pour moi. Chaque matin, me lavant ou me rasant, je retrouve cet autre dans le miroir dont je ne doute pas sérieusement que c'est moi. Pour certains angoissés c'est le seul élément de réassurance dont ils disposent dans l'incertitude universelle, et même si l'image est décevante, ou cruelle, c'est toujours encore le pôle fondateur de l'identité personnelle. Entre moi et l'image du moi il existe un rapport charnel, vivant, trompeur sans doute, car je ne suis pas cette image, mais indiscutable, précieux et nécessaire.

Que serais-je si je ne me reconnaissais plus dans le miroir ? S'ouvre là un abîme de terreur, qui est aussi, en un autre sens, une béance où s'entrevoit la vérité.

Mais les lettres d'un nom, d'un prénom, que représentent-elles ? Leur première fonction est de représenter quelqu'un (quelque-un, un-quelconque) pour les autres, lesquels en décident souverainement, plaquant l'appellation sur l'enfant qui n'a rien demandé, l'affublant d'une désignation patronymique pour le nom de famille, et d'un prénom pour signaler l'individualité, en le distinguant des frères et soeurs, et des autres membres du clan. Et me voilà porteur d'une double assignation que je n'ai pas choisie, qui, par un singulier renversement, est supposé exprimer ma position subjective. On m'a dit que j'étais Untel, et voilà que je me prends pour Untel, fixant mon identité, supposée intrinsèque, sur une identité purement conventionnelle et controuvée.

La chose est assez comique, sauf que ses conséquences ne le sont pas du tout. Songeons aux quolibets qui viendront saluer votre apparition publique. Charles Bovary devient, par dérision, Charbovary. Napoléone, La Paille au nez. Tel autre, de Choucroun devient Choucroute. Sans parler des déformations burlesques ou détestables des prénoms. L'adulte pourra s'en dégager et en sourire, l'enfant en souffre. Ce qui montre bien qu'il a entériné pour son propre compte la valeur propre de la dénomination, s'identifiant à ce mot qui en soi ne signifie rien, signifiant sans signification, qui pourtant, pour les autres comme pour lui, le représente - non certes comme image, mais comme symbole. 

Le symbole sépare et unit, dans un mouvement contrasté. Nom et prénom unissent, à l'être du sujet, la représentation verbale. "Je m'appelle...". Expression remarquable, qui distingue subtilement celui qui appelle, le sujet inconnu, intime, l'être du sujet, et celui qui est appellé, qui par identification est supposé être le même. Mais tout cela nous fait voir que cette unité est problématique, comme, à un autre niveau, est problématique l'unité de celui qui regarde dans le miroir et celui qui y est regardé. Chacun s'efforce, vaille que vaille, de récupérer par un travail psychique considérable, à jamais imparfait, ce qui a été perdu, clivé dans le processus de socialisation.

A l'arrière-plan de toutes ces identifications on est bien obligé de supposer un sujet, quelque instance agissante, que j'ai appellé ici l'être propre du sujet, dont nous ne savons pas grand-chose, inconscient structural que nul savoir ne peut réduire. Un réel psychique en somme, plus important, en  dernière analyse, que toutes nos laborieuses constructions théoriques. Dans leur grande sagesse les Grecs réservaient ce domaine à la connaissance des dieux.

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