Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 056 089
21 février 2020

SOCRATE et ALCIBIADE : un poème de Hölderlin

 

            SOCRATE et ALCIBIADE

 

         "Pourquoi toujours rends-tu hommage, saint Socrate,

             A ce garçon ? Ne connais-tu rien de plus grand ?

                 Pourquoi, avec amour, comme les dieux

                     Ton oeil le contemple-t-il ?"

 

          Qui a pensé le plus profond aime le plus vivant.

               Haute jeunesse entend celui qui a scruté le monde, 

                   Et les sages souvent

                       A la fin penchent vers le beau.

A suivre le récit de Platon dans le "Banquet", Socrate, en effet, suivait des yeux le bel Alcibiade, modèle de jeunesse triomphante, qui a pu croire qu'il était désiré pour ses charmes, et qui en retour pousuivra Socrate de ses assiduités, le sommant de se rendre à ses avances. L'affaire se terminera par un refus de Socrate, qui invite Alcibiade à se détourner des plaisirs sensuels et "à prendre soin de son âme". Où il est bien question de désir : que désire Socrate en Alcibiade, et Alcibiade en Socrate ?

Dans le poème de Hölderlin c'est le rapport entre sagesse et beauté qui est interrogé. L'homme sage "a pensé le plus profond", de plus il a "scruté le monde". Il doit bien savoir, lui qui a vieilli, que la jeunesse est un bien éphémère, que la beauté qui illustre la jeunesse est bien vite évanouie. Comment un esprit rassis peut-il s'attacher à une valeur si illusoire, au point de poursuivre partout la belle forme d'un garçon, promis, comme tout un chacun, à la décrépitude ?

Le poème joue sur le contraste : vieux-jeune, sage-beau. mais aussi, plus subtilement, entre savoir et voir, entre profondeur et surface. Le vieil homme, qui a sondé les profondeurs, revient à la surface, et s'enchante de la beauté qui passe, sachant qu'elle passe, et tirant de ce passage même un surcroît de plaisir. Peut-être faut-il avoir vécu longtemps et intensément pour savoir apprécier, précisément, ce qui ne dure qu'un instant, qui chatoie la durée d'un instant.

La grâce d'un amour ? Et si tout amour était un fruit tardif, amer et tendre, précieux, mélancolique ?

On a envie de parodier un mot célèbre de Jeau Cocteau : on reconnaît l'amour à l'ombre qu'il laisse derrière soi.

Hölderlin en tout cas dégage fortement l'esprit de la poésie : le poète, lui aussi, a sondé les profondeurs, mais il évitera de s'y noyer, il fera retour vers la surface, il chantera le périssable, et le chantant il lui donnera une seconde vie, dans la beauté du chant.

Enfin, je voudrais signaler ici un très beau livre de Thomas Mann, "La mort à Venise", qui semble une illustration romanesque de ce poème : un vieil homme, pétri de culture, s'éprend d'un jeune garçon sur une plage vénitienne (vénusienne ?), le contemple et l'admire immensément, sans lui parler jamais, tout remué par l'éclat de la jeunesse - la jeunesse perdue - et dans une sorte de lyrisme silencieux s'exalte, revivant dans sa chair et son âme le désordre aphrodisiaque. On dirait du Sappho, version masculine.

Publicité
Publicité
Commentaires
J
Bonjour Guy,<br /> <br /> Je suis cerné : ayant lu "Le Banquet" et "La mort à Venise", ne me reste qu'à lire la poésie d'Hölderlin, vue plusieurs fois chez mon libraire toulousain favori sans être reparti avec.<br /> <br /> Relativement à ton article, il ne me paraîtrait pas déplacé de citer aussi (tu dois connaître), "La confusion des sentiments" de Zweig.
Répondre
Newsletter
154 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité