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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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13 décembre 2019

LES AFFAIRES DU PERE

 

Si je me demande ce qu'il peut bien rester en moi de l'éducation chrétienne qui m'a été dispensée dans les années d'enfance j'évoquerai deux images, deux phrases capitales. Dans la première, Jésus déserte le foyer familial pour aller écouter les Docteurs de la Loi. "Que fais-tu donc ?" lui demande-t-on. "Je m'occupe des affaires de mon père". Cette phrase énigmatique avait pour moi la plus grande signification, même si je n'en comprenais pas bien le contenu. La seconde phrase, mondialement connue, est ce cri de désespoir lancé par le supplicié du haut de sa croix de désolation : "Père, père, pourquoi m'as tu abandonné ?".

Le manque du père est une grande misère. Nous ne savons rien de précis sur la généalogie de Jésus. Le bon Joseph qui l'a paternellement élevé était-il ou non le géniteur ? Ce n'est évidemment pas à lui que s'adressent ces deux messages poignants, qui témoignent du manque. Le fils sans père, s'occupant "des affaires de son père", travaille symboliquement à se donner du père, ce qui lui paraît plus important que de veiller aux affaires familiales. Il affirme sans honte la légitimité de son désir dans une entreprise de connaissance - qui le mènera par la suite à critiquer la religion établie, son formalisme, son pharisianisme. Il prétend affirmer de plus hautes valeurs, dictées par la vérité. Le fils sans père, jusqu'à la condamnation et la mort, témoigne inlassablement du père, si bien qu'à l'heure de la mort il s'étonne, se désespère, privé de tout, et du sens même de sa mission : "Père, père, pourquoi m'as tu abandonné ?"

Ce moment de désespoir absolu, cette tragique vérité de l'abandon, les successeurs vont les gommer en inventant des fariboles, comme la disparition inexplicable du corps, la montée au ciel, la résurrection.(1) C'est là que le sens tragique, si fortement marqué dans un premier temps, se voit complètement falsifié et récupéré. On voudra, de la pire désolation, faire un objet de glorification. C'est de toujours la politique religieuse.

Mais revenons à ce tableau extraordinaire de Holbein : un homme est allongé au sol, décharné, avec une barbe et une chevelure hirsutes, sans fanfares ni angélus, sans personne, réduit à la plus simple, la plus émouvante des solitudes. C'est l'homme mort, c'est celui qu'on appelle le Christ, mais rien ne le distingue d'un clochard ou d'un paysan. Pauvreté, délaissement, nudité de la mort.

La puissance symbolique, si elle nourrit la vie, ne peut rien contre la mort. Cela les religions ne veulent pas l'entendre. 

"Par rapport à la mort nous sommes tous une forteresse sans murailles" (Epicure) A l'heure de la mort nous sommes tous abandonnés. Mais il faudrait ne pas être abandonnés dans la vie, et encore moins dans l'enfance. L'abandonné rencontre des problèmes et des questions particulièrement cruciales : pourquoi suis-je abandonné ? Serais un mauvais objet, indigne et coupable ? Mais coupable de quoi ? Puis-je acquérir considération et reconnaissance avec un tel passif ? Et que dois-je faire pour lever la malédiction qui pèse sur moi ? Et qui, quel tuteur m'aidera à me relever ? - Quel père ?

  "Qui, si je criais, m'entendrait parmi les cohortes des anges ?"

Mais on remarque aussi que c'est parmi les fils sans père que l'on rencontre nombre d'espris éminents, philosophes, poètes ou écrivains. Dans ce gigantesque effort de redressement, pour des raisons assez mystérieuses, ils ont su, parfois, tirer d'eux-mêmes plus que ce qu'ils avaient reçu, et par un effet de renversement, transmué la souffrance en oeuvre de culture.

Oui, il faut s'"occuper des affaires de son père", mais traverser l'abandon et la solitude aussi, et se passer du père, enfin, pour accéder à sa propre vérité.

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On voit dans Diogène Laerce un thème semblable au sujet de la mort d'Empédocle : à côté de la fameuse version où Empédocle se précipite dans le  cratère de l'Etna il en existe une autre selon laquelle il aurait purement et simplement disparu dans un faisceau de lumière. Il s'agit évidemment de récits mythiques édifiants dont la symbolique est assez évidente. 

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Commentaires
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Il fallait plutôt voir le père chez Jesus comme le principe céleste ( Animus ) contrairement au Bouddha qui a pris la terre, le principe féminin ( Anima), à témoin. <br /> <br /> Ces hommes la n'évoluaient plus au niveau de la surface mondaine et la puissance de ces deux principes exploités à leur potentiel maximal est surement sans limite. <br /> <br /> Le premier accorde la connaissance des choses ordinaires et extraordinaires et le deuxième la paix intérieure.
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