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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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12 décembre 2019

DE LA PULSION DE SAVOIR : le remède et le poison

 

Vouloir tout comprendre est un poison.

C'est un paradoxe puissant, qui peut se révéler mortel : quand apparaît la conscience, elle s'étonne de tout, et dans un gigantesque effort se promet de percer le secret de l'homme et de l'univers. "J'ai découvert que la vie était une énigme et j'ai résolu de consacrer la mienne à la déchiffrer" (Schopenhauer). La pensée s'élance à la conquête du monde - et se brise sur le roc de l'impossible. C'est le désespoir de Faust, qui à la première scène de la pièce de Goethe fait le bilan désabusé de son savoir et envisage le suicide, lorsque, par un hasard providentiel, retentissent les cloches de Pâques. Alors apparaît Méphistophélès, et Faust ne pourra résister à contracter le pacte qui lui promet la jeunesse en échange de la vie éternelle.

La jouissance serait-elle une meilleure réponse à l'énigme de l'existence ? Peut-être, encore faut-il être doué pour la jouissance, ce qui n'est pas le cas de tous, et sûrement pas de moi. Un philosophe jouisseur, voilà une impossibilité manifeste, affaire d'idiosycrasie, affaire de pulsion dominante : ou le savoir ou la jouissance. Et ne me dites pas que l'épicurisme est une exception, lui qui recommande une culture raisonnée du plaisir, ce qui est tout autre chose. Les Cyrénaïques eux-mêmes, pourtant réputés ne rien tenir plus haut que le plaisir en mouvement, dans l'usage de la vie en viennent tout naturellement à marquer la limite. Ainsi Aristippe, entrant dans la maison d'une courtisane, à qui l'en blâme rétorque : "Ce qui est mal ce n'est pas d'entrer, c'est de ne pas pouvoir sortir". Le seul, à ma connaissance, qui ait tenté cette synthèse improbable de la pensée et de la jouissance est le marquis de Sade. Mais sa jouissance relève plus de la pulsion de mort que de la pulsion de vie, ce qui est peut-être une indication précieuse sur la nature de la jouissance comme telle, qui prétend excéder les limites du corps et de la psyché dans un incendie pathétique illimité. Je peux comprendre mais je n'adhère pas. J'ai en moi une sorte de réserve toute paysanne qui m'interdit les orgies fastueuses et mortifères.

Gamin, j'étais certainement un esprit ouvert à bien des questions, alors qu'en classe j'étais un cancre notoire, que je somnolais sur mon banc de bois, et je ne puis me représenter ce à quoi je pouvais bien rêver pendant ces longues heures d'ennui scolaire. Et à l'église de même, voire pire. Extérieurement je devais passer pour un demeuré. Et pourtant ça devait penser dur et ferme dans cette caboche. Je me souviens d'un mot d'enfant que je tenais alors : " je suis celui qui sait tout " (Dans mon alsacien natif c'était : "ich bin der Alleswisser"). Quelle prétention ! On sourira de la faconde d'un gamin ignare et mal dégrossi. On dira que c'est là l'exemple typique d'un renversement en son contraire, l'ignorant s'autoproclamant omniscient. Sans doute, mais il reste que c'est bien le savoir qui est désigné et non la force physique ou la séduction. Il y a je crois quelque chose de cet ordre chez Sartre, si je me souviens bien. C'est peut-être le signe distinctif de ce qui fera un philosophe ou un physicien.

Mais aujourd'hui, parvenu à la dernière étape de l'existence, du savoir que dirai-je ? Un pharmakon, c'est à dire à la fois un remède et un poison. Cela dessine une sorte de boucle : on entre dans le processus du savoir, on avance gaillardement un certain temps, on parvient à des résultats appréciables, on en vient à croire que le savoir explique tout, peut tout - et alors commence la descente : on voit les ratages, les impossibilités, on en vient à douter de toute l'entreprise. Tenté par le désespoir de Faust, on en vient à se maudire, et à maudire le monde. Puis, dans le meilleur des cas, on opère un tournant décisif : on comprend que savoir et non-savoir sont les deux faces du même processus, l'expression du même désir. Que la vérité, et la vie, sont ailleurs. Alors peut commencer, la boucle étant bouclée, une autre aventure.

Peut-être, toutes affaires cessantes, ne s'agit-il dès lors que d'être là, présent au monde et présent à soi, comme sont les fleurs de mon balcon, comme sont les chiens et les poulains qui s'ébattent dans les près. Quand tout passe et s'efface c'est l'instant d'ici-maintenant qui est infiniment précieux, et digne d'être célébré. 

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