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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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20 novembre 2019

VOYAGE AUX ENFERS (2) : Pyrrhon

 

Ne vous laissez pas égarer, chers lecteurs : mes voyages aux Enfers ne sont que littéraires ! C'est un schéma commode, une mise en scène destinée à favoriser de fructueux échanges fictifs avec d'illustres personnages, en suivant l'exemple d'Homère.

Second voyage. Je m'avance vers Pyrrhon, et je dis :

     Dis moi ô Pyrrhon, toi qui fus le plus sage d'entre les sages,

     Toi que ta ville d'Elis, la bienheureuse, honora du prestige

     De garder sans souillures le temple d'Hadès le redoutable,

     Toi qui sans disputer fis briller la plus haute sagesse

     Et qui, serein, incorruptible, inébranlable,

     Considérais également toutes les choses de ce monde,

     Dis moi, Pyrrhon, d'où te vient cette parfaite équanimité,

     Toi qui ne hais ni ne loues personne, ni les dieux ni les hommes ?

J'eusse pu, avec un sérieux pontifical, interroger philosophiquement le grand maître d'Elis. Mais voilà, je suis d'humeur enjouée, enlevée, et je m'amuserai plutôt à badiner. Veuille le lecteur me pardonner ces vers rocailleux imités de Timon de Phlionte qui fit un éloge dithyrambique de Pyrrhon. "O vieillard, ô Pyrrhon, comment as-tu trouvé...".

Si l'on m'offrait de vivre dans une époque du passé, à la condition expresse de jouir à nouveau de la jeunesse et de la santé, je m'engagerais volontiers dans l'expédition d'Alexandre, certes non comme hoplite ou général, mais parmi la petite cohorte de philosophes et de poètes qui entouraient le roi. J'eusse eu la chance extraordinaire de rencontrer les mages de Perse et les sages des confins de l'Indus, j'eusse dialogué avec Kalyana (Calanos pour les Grecs) en compagnie de Pyrrhon et d'Anaxarque, étudié, observé le jaillissement des apparences dans l'immensité des plaines et dans l'immensité des temps, dans les allées poussiéreuses de l'Aion j'eusse surpris le vif-argent du kairos, et dans l'immensité de l'univers médité l'immensité du vide. Ah cela aurait été quelque chose !

"D'où te vient, Pyrrhon, cette égalité d'âme..." Et j'ajouterai : cette liberté souveraine qui te fait indifférent à toutes les opinions, toutes les croyances, tous les fanatismes. Les diverses écoles philosophiques, et les doctrines, tu les as connues, traversées, renversées, et même Démocrite, ton illustre prédécesseur, tu sus t'en détacher. Les atomes et le vide, oui sans doute, ou peut-être, mais c'est encore trop dire, trop affirmer, c'est encore s'enchaîner à quelque principe, discutable en soi et par soi. Laissons-là la pensée, laissons la aller selon elle, ne la fixons pas, et surtout ne nous fixons pas à elle.  Le vide, sitôt vu, emporte tout, l'attachement, le sentiment, la pensée, la représentation : "égales sont les choses, in-différentes" dans le vaste mouvement qui emporte tout, les astres, les végétaux, les fleuves, et les hommes.

Voilà. Je pensais m'amuser, et voilà que je redeviens sérieux ! Mais il y a je ne sais quelle savoureuse gaillardise, quelle allégresse, quelle ivresse à se laisser flotter et emporter ! Il existe une Muse homérique, elle est grande, belle et sévère, mais ici c'est une Muse pyrrhonienne, lyrique, drolatique : après tout c'est des choses sérieuses que l'on rit le plus volontiers, avec, il est vrai, un soupçon de tristesse.

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