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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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25 juin 2019

DE l' HUMEUR et des HUMEURS : le pseudo Aristote

 

L'humeur est une disposition affective globale qui conditionne la perception et l'image de soi et du monde. On ne choisit pas son humeur, elle vient, se transforme et passe, laissant la place à une autre, tout aussi imprévisible et capricieuse. Ce qui signale notre dépendance psychique à l'égard de mystérieuses forces internes dont le régime nous échappe, et souvent nous irrite. Chez certains elle est une puissance souveraine que rien ne peut combattre ou modifier. Chez d'autres, bien que présente, elle laisse la place à d'autres puissances qui n'en sont pas affectées, comme l'imagination ou le jugement. Depuis l'Antiquité, l'humeur fait l'objet de la recherche médicale et des traités philosophiques, voyageant entre médecine et philosophie, du fait de son importance pour la santé de l'âme.

Les Grecs font dériver l'humeur du thymos (centre mal défini des affects, des émotions et des passions), d'où la thymie, terme qu'utilise encore la psychiatrie moderne. Puis trois termes essentiels : euthymie, athymie, dysthymie.

L'euthymie, l'humeur bonne, mais en donnant à cette expression une extension maximale : disposition joyeuse dans le temps qui passe, absence de préoccupations majeures, sérénité.

Athymie : absence de vigueur, atonie, accablement et désespoir.

Dysthymie : dérèglement, d'où agitation, variations, fébrilité.

Dans le traité du Pseudo Aristote "L'homme de génie et la mélancolie" toute la question est de savoir d'où viennent les perturbations de l'humeur qui jettent certains sujets dans des états violemment contrastés, entre l'exaltation et le désespoir. D'où les spéculations assez comiques sur les variations de chaud, de froid, de sec et d'humide, dans la composition de la bile noire (melan cholia), supposée responsable des mouvements de la thymie. Toutefois, par de là l'indigence de l'explication, on peut créditer les Anciens d'une solide intuition : certains dérèglements de l'humeur sont bien d'origine organique, ce que confirme la neurologie. D'une certaine manière, l'humeur est l'affection qui relie le corps au psychisme et inversement, lieu de contact, zone de conflits, d'adversités et de réconciliations. C'est bien ainsi qu'il faut entendre le thymos, terme vague à souhait quant à sa nature, mais tout à fait précis quant à sa fonction.

Dans les cas extrêmes, les troubles de l'humeur relèvent du traitement pharmacologique. En période de crise sévère, les fonctions supérieures (pensée, jugement, création) sont gravement perturbées, voire annihilées. Songeons à la stupeur du mélancolique, figé dans l'immobilité et le mutisme. Mais l'inverse, l'exaltation maniaque, n'est pas plus heureuse, même si le sujet se sent des ailes, entreprend à tort et travers, s'agite en tous sens : il accumule les catastrophes, puis retombe dans l'atonie.

Certaine forme de joie exaltée, convulsive et intempestive est un signal mélancolique, une sorte d'envers brillant et rutilant, brasier qui consume tout et se consume lui-même, jusqu'à la cendre. Le sujet, un temps bref, fait illusion, et très vite sombre dans les parages de l'enfer.

Il faut être prudent lorsqu'on fait l'apologie de la joie. Il faut réfléchir à ce qui la cause. Je la veux modérée, douce et constante autant qu'il est possible. Outre le plaisir qui l'engendre souvent quand le plaisir nous comble, je l'éprouve plus encore lorsque la pensée est libre d'affects, qu'elle vaticine à son gré, offrant de belles compositions, de belles accointances, joueuse et inventive. C'est la joie du poète, la plus belle que je connaisse.

Le texte aritotélicien insiste sur les vertus d'un bon mélange (de la bile noire). Mais laissons là la bile noire. Quels que soient les moyens utilisés il est essentiel de ramener la thymie dans des rapports stables, relativement constants. C'est à cette condition qu'on libère les pouvoirs de la pensée, qu'on lui garantit l'autonomie dont elle a besoin pour remplir son office, qui n'est pas de justifier les humeurs et d'en faire étalage, mais de voire, autant qu'il est possible, les choses comme elles sont, de dire les choses selon l'intime vérité.

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