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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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3 février 2019

De l' IDENTIFICATION II : "s'identifier sans s'identifier"

 

S'identifier à quelqu'un c'est se faire autre. C'est par des identifications successives que le sujet avance, si toutefois il sait les abandonner sur le chemin. Il faut savoir déjouer la prise, s'arracher, courir ailleurs. Ce n'est pas facile. J'ai connu un noble universitaire, estimable à tous égards, qui déclarait honnêtement qu'il lui était impossible, aujourd'hui, de quitter la défroque du maître à penser, de se ranger à l'aune commune. C'était comme de perdre une identité sociale chèrement conquise, de se retrouver tout nu. "Trop tard" disait-il. J'ai, pour ma part, assez facilement quitté mon statut de professeur, tout modeste qu'il fût, mais c'était pour inventer une autre identité, qui me tient lieu de maquillage, mais au moins je sais que ce n'est qu'un emprunt fictif, auquel je ne colle pas, et que je lâcherai aussi bien quand le moment sera venu. Beaucoup de personnes redoutent la retraite : que seront-ils s'ils ne sont plus ingénieurs ou députés ? S'ils n'étaient que cela ils ne seront plus rien, confrontés au néant de leur condition.

Montaigne avait écrit : le maire de Bordeaux et moi avons toujours fait deux. Il ne s'identifiait que mollement à son statut, estimant qu'il était inutile de suer sang et eau pour une fonction que d'autres pourraient aussi bien que lui remplir. Et il n'avait rien à prouver, trouvant en lui-même de quoi se sustenter. 

Lacan disait : s'identifier sans s'identifier. Formule paradoxale à souhait. On comprend assez bien qu'il importe de ne pas s'identifier à autrui, aux statuts, rôles, normes et prestiges sociaux - comme le dit Montaigne à sa façon - mais alors que signifie s'identifier sans s'identifier (à). Peut-on s'identifier sans identification ? N'être que soi, sans identification à l'autre ? Mais que reste-t-il en propre, qui ne soit pas l'autre, ni de l'autre ?

C'est là que les opinions divergent. Freud dirait : ich, mais en fançais ich se traduit aussi bien par "moi" que par "je". D'où l'hésitation : est-ce moi, le moi, qui ainsi se révèle à soi comme ultime instance psychique à quoi se réfère l'individu ? Je suis moi et c'est à ce moi que je m'identifie sans plus de façon. Mais d'autes diront que ce moi est encore une image, plus subtile que les autres, qui ne saurait comme telle valoir à titre d'identification ultime. Non, c'est du sujet qu'il s'agit, pas du moi. Mais qu'est-ce que le sujet ? Ce ne peut être que le sujet de l'inconscient, lequel soustend toutes les expressions et manifestations du moi, et au delà, des identifications imaginaires. Ce sujet n'est pas une substance stable et permanente, à la manière d'une âme par exemple, c'est un opérateur quasi invisible, apparaissant et disparaissant, s'exprimant par saillies et saccades, impromptu, erratique, imprévisible et déroutant, comme dans les rêves et les symptômes, étrange musique oraculaire et sibylline, dont nous percevons par moments le murmure, et le plus souvent l'irruption imprévue. En toute rigueur on ne peut définir le sujet, le circonscrire dans un savoir positif, et pourtant il faut le poser comme existant.

S'identifier sans s'identifier pourrait signifier ceci  : se dévêtant de toutes les identifications (à), ce qui reste au sujet c'est de se poser comme sujet, substituant à l'ordinaire tragi-comédie des rôles et des statuts qui pour beaucoup tient lieu d'identité, un "savoir" de soi fluctuant mais assumé, toujours à réformer, qui ne délivre nulle certitude, et se décline dans les occurrrences de la singularité.

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Commentaires
S
Quand on partage votre approche du sujet, il serait en effet paradoxal d'adhérer sans la moindre distance aux rôles et codes que nous pouvons jouer en société. S'il est une catégorie épuisante de personnage, ce sont bien ceux qui ne se décollent jamais et donc ne décollent pas plus.<br /> <br /> Merci pour ces éclairages clairs et précieux.
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