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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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27 décembre 2018

La VOIE et le CHEMIN : à FREDERIC

 

Petite bafouille pour Frédéric.

 

Au petit matin, dans ces plages douillettes où la conscience flotte entre sommeil et réveil, j'eus la chance - une fois n'est pas coutume - de rêver que l'ami Frédéric venait, à la suite d'une causerie que je tenais sur "la voie et le chemin", au devant de moi pour me serrer la main. Ma foi, je me suis fait plaisir, par cette petite mise en scène, convoquant une sorte d'approbation silencieuse : mon propos devait avoir quelque valeur, après tout. J'essaie de dénouer le fil du rêve, et je butte sur cette opposition entre la voie et le chemin qui soutenait mon propos.

Le surgissement inopiné de Frédéric me semble facile à expliquer : hier je lisais la présentation que Thomas Mann faisait de Schopenhauer - celui que Frédéric appelle le "patron", à la suite, je crois, de Cioran. De Schopenhauer, en dépit de toutes les critiques amoncelées contre lui, on n'en a jamais fini. Sa pensée possède cette force intérieure qui soulève les obstacles, renaissant indéfiniment de ses cendres. Schopenhauer est cet esprit qui m'a, dès mes seize ans, éveillé à la philosophie, et si aujourdhui je ne le lis plus guère, il continue pourtant de susciter des interrogations infinies. L'essentiel reste cette critique des illusions de la conscience qui m'a délivré à jamais des entreprises du sens et de la croyance, qui ravagent le monde. Si l'homme est vouloir-vivre de part en part, si l'intelligence est au service du vouloir, quelle est donc le pouvoir de la liberté ?

Mon propos nocturne était de distinguer le chemin de la voie. Sur la voie, sur la possibilité même de la voie, pesait une suspicion salutaire : par ce terme on désigne des voies royales, comme celle de Bouddha, mais Freud aussi parle de la voie, à propos du rêve : "la voie royale qui mène à l'inconscient". J'ai longtemps attendu de mes rêves quelque lumière sur la vérité intérieure, sur mon histoire familiale, sur la nature et l'objet du désir. J'ai longtemps travaillé sur les matériaux des rêves, tenté de dégager une signification. Depuis j'ai renoncé : que valent ces débris jetés au hasard, ces fragments poussiéreux, ces planches pourries sauvées du naufrage ? Peu de chose en vérité. Cela ne fait pas une voie, tout au plus des venelles enchevêtrées où le sens se perd.

Il n'y a pas de voie. Mais il y a un chemin. Par chemin, à la différence de la voie qui est celle de l'autre, j'entends  la pérégrination d'un sujet qui, à partir de soi, trace un fil, le fil de vie, qui est le sien propre, inassimilable à tout autre. Ce chemin ne mène nulle part, ni au nirvâna, ni au ciel, ni au salut éternel. Et où diable pourrait-il mener si, où qu'il aille, il est toujours exactement ce qu'il est, rien en moins, rien en plus. Il n'existe, tant que vit le sujet, nul point d'arrivée, nul arrêt, nul repos, nulle suspension de la courbe de vie. Comme l'atomos idea de Démocrite il file, égal à soi, traçant des lignes, des courbes, des figures, ouvrant l'espace. Le chemin est à soi sa propre loi, loin des voies conventionnelles, empruntées par d'autres, des nomenclatures, des valeurs reconnues et des normes. A-nomos : ce qui ne se définit pas par la loi de l'autre.

Tout cela était sous-entendu dans le rêve. Il fallait le déplier. Un merci, encore, à Frédéric, d'avoir eu la bonne idée de venir me visiter dans mon rêve. C'est, comme dirait Anaxarque, un beau kairos, une belle rencontre, une jolie trouvaille. Et c'est justice, enfin, que je lui dédie ce petit texte.

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Commentaires
A
Ce beau texte m'inspire quelques -pensers-. <br /> <br /> Pour contre-plagier notre cher Héraclite, je dirais que le chemin est toujours différent, qu'il monte ou qu'il descende, comme les fleuves. Car il existe des chemins alors que "la" voie s'affirme unique. Personne n'a jamais dit : trouvez Les voies. <br /> <br /> Pourvu que ces chemins multiples se rencontrent harmonieusement ! avant la fin du parcours...
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G
Oui, mais le lièvre est un peu trop rapide pour moi. Encore que selon La Fontaine il goûte la douceur du gite <br /> <br /> Un lièvre en son gîte songeait<br /> <br /> Hé que faire en un gîte à moins que l'on ne songe ?<br /> <br /> Quant à moi l'ours me conviendrait assez : vitesse et lenteur, régime pluriel.
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G
Merci, cher Frédéric, chère Sibylle, pour ces mots chaleureux. Cela fait, avec moi, un joli trio de chemineurs - qu'il ne faut pas confondre avec des "marcheurs" !
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S
Cher Guy,<br /> <br /> <br /> <br /> Voilà une belle inspiration. Ce qui me plait dans l’idée de chemin, c’est précisément qu’il n’y a pas la recherche d’un sens, d’une finalité ou d’une quelconque forme de téléologie. On peut toujours prendre la tangente ! <br /> <br /> <br /> <br /> Cheminer c’est aussi et avant toute chose parcourir la plus courte distance de soi à soi, pris dans les flux et reflux de notre propre « carte » mémoire, trouée cela va de soi de part en part.<br /> <br /> Il y a un « il » ou un « je » manifeste qui se tient dans la brèche et qui découvre le fil des sentes imprévues et imprévisibles de l’ek-istence et c’est heureux.De la sorte, nous sommes toujours en chemin…
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F
Cher Guy, <br /> <br /> <br /> <br /> Ce fut un plaisir pour mon simulacre de se faufiler dans vos songes et, ainsi, de vous donner l'occasion d'une méditation aussi intéressante sur la différence entre la voie et le chemin. <br /> <br /> Je vais moi-même y réfléchir. <br /> <br /> Merci pour cette invitation à philosopher.<br /> <br /> <br /> <br /> Mes plus vives amitiés,<br /> <br /> <br /> <br /> Frédéric
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