BLANCHEUR MUETTE : POESIE I
BLANCHEUR MUETTE , à mes ami(e)s poètes, lectrices et lecteurs de poésie! Qu'ils soient remerciés ici de leur soutien er de leur amitié.
GUY AMEDE KARL
BLANCHEUR MUETTE
poèmes
ARGUMENTAIRE
Il est des crises où l’esprit semble se désagréger, entraînant dans sa déroute le bel ordre du langage. Alors le poème devient impossible. Seul le fragment, comme ces marbres étêtés qu’on extrait de la vase, témoigne encore d’un passage miraculeux de l'indicible à un mi- dire problématique.
Telle était la parole du dieu, délivrée dans le délire balbutiant de la Pythie, à Delphes.
Il est proprement impossible de dire la faille, ce blanc qui habite obscurément la parole, et que nous nous dissimulons à nous mêmes comme une tare intime. Pourtant ce blanc est la vérité même, informulable et inaccessible. Le poète, un peu plus que les autres, est travaillé d’un exigence absolue. Faute de pouvoir exhiber ce qui le constitue, il tourne sans relâche autour du point obscur, s’efforçant de capter ces bribes qui par instants émergent comme autant d’interrogations.
BLANCHEUR MUETTE
1
Je me réjouis du visage de la lune
Le poème est la douce lueur
Qui danse sur les murs
2
Poussière
Tournoyant dans les tourbillons stellaires
Qui se souviendra de nous ?
3
L’oiseau, s’envolant
N’emporte pas le rameau de buis
Qui le balançait.
4
Tant d’années
Feuilles froissées
Au pied du chêne d’hiver
Déserté par les oiseaux !
5
Douleur
Feu qui ravage, cancer
Irréfutable
Les mots
Tournent en cercle de cendre, tournent
En tourbillons de sang
Je coule, je coule
De tout mon corps je coule
Une main, je ne sais d’où
Surgie,
Agrippe, vorace
Le ciel qui se dérobe.
6
Aux cimes des chênes
Criaillent les étourneaux
Soudain
Le silence blanc coupe en deux
Le temps-monde
7
Depuis le premier cri
Je suis ma blême blessure
Inhabitable
8
Tout ébouriffé
Dans la mouillure des rêves
J’étais comme un diable
Cherchant la route perdue
Qui ne conduit nulle part
9
Brûler, vous dis-je !
Jusqu’au gris de la cendre
Et qu’une main preste jette
La poussière dans la lumière !
10
L’air bleu si soyeux
Même l’oiseau ne déchire
Son voile limpide
Le jeu de la transparence
N’est lui-même que le vide.
11
Le pollen neigeux
Flotte au caprice des brises
Le long des allées
Et sans hâte va finir
Dans le calice des fleurs
12
J’inspire, j’expire
Le clapotis de la pluie
Petit à petit
Me fait glisser dans les eaux
D’avant tout souvenir
13
Mouette à la diable
Tourterelles enrouées
Tous les corps
En un instant se recolorent !
14
Ciel noir perforé
Silence des étoiles
Aux franges du vertige
Je me déchiree.
15
Qui donc prend le soir pour l’aube,
Au matin clair se meurt ?
16
Sur la paille de l’étable
Vibrent, poudroient
Mille scarabées incendiaires
Eblouissement
Tu épuises mes ardeurs, mes fureurs
Jusqu’à l’ultime
Jusqu’à l’antique, à l’unique
La souveraine nuit !
17
Autant d’étourneaux
Que de feuilles biseautées
Piquètent les ciel
Au soir
Sur l’implacable surface
Tout s’efface
18
Comme toute chose qui tourne et roule dans la turbulence
Je roule et tourne dans l’éternité.
19
Nous consumons nos jours
Expectant l’impossible retour
D’une chose à jamais clouée
Dans la chair de notre amour.
20
L’ivresse
Elle seule, l’ivresse
Fait le poète
Mots-drogue, mots-absinthe
Du néant blanc de neige
Surgis
Pétales blancs
Tressent l’imparable corbeille
Du néant
Sous le regard
Du Kronos nécrophage
Toute chose
S’égalise en poussière de vent.